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Un coup terrible était réservé au P. Didon. Quand il avait été appelé à Rome en mai 1880, il avait dû partir directement sans voir sa mère.

À la fin du mois de décembre 1880, la santé de sa mère déclinait. L’état paraissait grave.

Le P. Didon demanda à plusieurs reprises l’autorisation de se rendre près d’elle.

Elle lui fut refusée.

Enfin l’état devient si alarmant que la permission lui est accordée.

Le P. Didon prend le premier bateau en partance. Le temps était très mauvais. Une tempête effroyable force le navire a relâcher à l’île d’Elbe. Le Père ne veut pas attendre. Sa mère se meurt : si le bateau ne peut sortir du port, une barque pourra peut-être aborder l’Italie. Il trouve des matelots qui consentent à courir le danger. Après bien des difficultés, il touche la terre ferme. Il est en Italie. Il prend à Livourne un train rapide pour la France. Mais les neiges ne rendent pas possible le passage du Mont-Cenis. Encore un détour et un retard. Il est enfin au Touvet. Sa mère était morte !

Il eut besoin, à ce moment suprême, de toute la plénitude de sa foi, car son âme était brisée de douleur.


Le Touvet, 27 janvier 1881.

Mon cher ami,

Je suis accablé. Ce coup terrible m’atteint en plein cœur : malgré ma foi indomptable et toutes mes religieuses convictions je reste brisé.

Ma pauvre mère m’a appelé à grands cris : et, sentant sa fin proche, elle a dit à haute voix : « Mon Dieu ! je ne verrai donc pas mon fils ! Toutes les douleurs m’ont été réservées… Eh bien ! que la volonté de Dieu se fasse ! »

Elle est tombée, comme foudroyée.

Je ne suis arrivé ici que trois jours après sa mort. Rien de ma pauvre mère, plus rien dans sa petite maison vide.

J’ai couru au cimetière sur sa tombe. J’ai pleuré, j’ai crié, j’ai appelé… Que voulez-vous, mon pauvre ami, on a beau être un homme, on reste toujours l’enfant de sa mère.

Est-ce que les hommes me laisseront tranquille, maintenant que je suis frappé de Dieu ?

Reprendrai-je, avec mon deuil, le chemin de l’exil ? Je ne sais, mon ami. Mais que m’importe ? Mon sacrifice est tellement grand que rien, ce me semble, n’en peut accroître l’amertume.