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étroites, entre ces vieilles maisons, on se croirait au XVe siècle. Le merveilleux, pour moi, c’est que ce simple bourg de 9 000 âmes est un grand foyer de science et d’activité intellectuelle. Un collège royal, une grande Université, amènent dans ce petit coin plus de deux mille jeunes gens.

Au pied de la colline où est assise Tübingen, coule une petite rivière, le Neckar : elle arrose une jolie vallée tout ombragée de grands arbres plantés en allées superbes : c’est là que les maîtres et les étudians se promènent, en rêvant, en travaillant, en pensant. C’est tranquille comme un temple. Ces allées, d’ailleurs, ressemblent à des nefs d’église gothique.

Tübingen avait pour moi un intérêt tout particulier. Son Université est une des rares Universités allemandes qui possèdent deux facultés de théologie : une protestante et une catholique. Ce voisinage des deux enseignemens me permet de mieux juger les différences qui les séparent. Je suis arrivé trop tard pour pouvoir suivre les cours ; ils étaient déjà fermés, mais je me suis mis en rapport avec des étudians et des maîtres, et j’ai pu me renseigner en toute précision.

Plus de 350 étudians suivent les cours de théologie protestante ; les catholiques n’ont que 150 élèves. Chose merveilleuse ! Professeurs et disciples vivent dans la plus parfaite, harmonie, entre protestans et catholiques. Point de polémique acerbe : point de violence, mais une grande courtoisie dans les rapports. Nous sommes loin, vous le voyez, cher ami, de nos catholiques français, qui ne songent qu’à se manger pieusement les uns les autres pour la plus grande gloire de leur Eglise.

Du reste, j’ai observé, en général, dans l’Allemagne, une bien plus grande liberté et un bien plus grand esprit de tolérance que dans nos pays latins.

J’ai pu encore étudier à Tübingen l’organisation matérielle et la discipline morale sous laquelle les étudians en théologie, destinés au sacerdoce, sont élevés. Cela ne ressemble en rien à nos séminaires français. Chez nous, le clergé est élevé dans une sorte de caserne, séparé du monde, séquestré des autres étudians ; ici, rien de pareil, les jeunes théologiens ont bien une maison où ils vivent en commun, mais ils ne reçoivent pas là leur enseignement ; ils vont à l’Université comme leurs collègues ; ils sont mêlés à eux ; ils n’ont pas d’habit qui les distingue trop, et ils peuvent sortir librement à de certaines heures.