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domestiques, c’était aussi comme ouvriers libres qu’on les accueillait. Enfin, on voit poindre déjà dans le domaine industriel le travail féminin ; témoin cette Carienne habile à fabriquer des ivoires polychromes, « qu’un roi seul serait capable d’acheter. » L’artisan ne restait pas constamment dans sa boutique ; il se transportait volontiers à domicile, et c’était assez l’usage que son client lui fournît la matière brute, si elle avait du prix. On ne saisit pas la moindre trace d’un atelier qui aurait groupé sous l’autorité d’un patron soit des esclaves, soit des hommes libres. Dans un passage de l’Iliade, il est question d’un individu qui commande à d’autres de tendre une peau de taureau, et le terme employé atteste que ce ne sont pas des esclaves. Avons-nous là un chef d’industrie ? C’est possible, mais ce n’est pas certain. Les textes donnent plutôt l’impression que l’artisan travaillait directement pour le public, et que, sauf le cas où une équipe d’ouvriers était nécessaire, il demeurait isolé, n’associant à son labeur que sa famille. C’était là le système qui convenait le mieux à un pays de très petite industrie, où l’on ne se préoccupait que de répondre aux besoins de la consommation locale.


II

Le régime en vigueur dans les temps homériques était la monarchie ; quelques générations plus tard, ce fut l’aristocratie. Je n’ai pas à raconter la révolution qui substitua l’un à l’autre ; je nie contenterai d’indiquer les conséquences qu’elle entraîna dans l’ordre économique.

Il y avait alors deux classes, très inégales entre elles, les nobles et les roturiers. La première avait pour elle de grands privilèges, le prestige de la naissance, l’autorité politique et religieuse, la richesse, la cohésion qu’engendre l’esprit de corps. La seconde, pauvre, modeste et peu nombreuse, ne possédait presque rien et vivait péniblement du travail de ses mains ; elle était à la merci des riches, de qui elle tirait tous ses moyens de subsistance, et elle n’avait plus à compter sur la royauté, qui jadis lui avait parfois prêté son appui.

La fonction essentielle de l’aristocratie était le gouvernement et la guerre. Elle exerçait le pouvoir sans le partager avec personne, et elle défendait le territoire avec le concours du reste de