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le frapper ; il pouvait aussi le stimuler par l’octroi ou la promesse de quelque faveur, surtout par la perspective de l’affranchissement. De là, sans doute, sa prédilection pour des travailleurs sur qui il avait tant de prise. Un individu soucieux de ses intérêts passait son temps dans son atelier, et l’on estimait déjà que rien ne vaut l’œil du maître. Les monumens figurés s’accordent avec les textes pour le certifier. Sur une peinture de vase, un patron, reconnaissante à son accoutrement et à son attitude, suit de près, dans une poterie, l’opération de la cuisson. Ailleurs, un homme assis dans une forge paraît intimer un ordre. Dans une cordonnerie, un individu fait un geste pareil à l’adresse d’un ouvrier qui va servir une cliente.

S’il y avait des propriétaires et des industriels actifs et laborieux, il y en avait, en revanche, qui négligeaient totalement leur besogne. Démosthène en désigne un qui détestait la campagne et qui aimait mieux ne rien faire à la ville. Strepsiade, après son mariage avec une femme noble, est obligé de quitter ses champs et de s’établir à Athènes, où son fils, paresseux et dépensier, est en train de le ruiner. Tel autre, peu satisfait du rendement de ses terres, renonçait à l’agriculture pour chercher quelque travail plus lucratif. Un grand nombre cédaient à l’attrait de la politique, et on sait combien elle (Hait absorbante dans l’antiquité. J’imagine, par exemple, qu’un Périclès ou un Alcibiade n’avait guère le loisir de songer à ses propriétés. Parmi les personnages qui jouèrent un rôle dans l’histoire d’Athènes à la fin du Ve siècle, plusieurs étaient chefs d’industrie ; on n’a qu’à se rappeler les noms de Cléon le tanneur, d’Hyperbolos le fabricant de lampes, de Cléophon le fabricant de lyres, d’Anytos le corroyeur ; pendant qu’ils étaient aux affaires, tous ces gens-là durent laisser de côté leurs professions. J’en dirai autant de ceux qui s’engagèrent dans les carrières libérales : d’Isocrate, qui avait pour père un luthier et qui enseigna la rhétorique, de Lysias, de Démosthène, d’Apollodore, qui devinrent avocats, bien qu’ils eussent hérité d’un atelier d’armurier. Il pouvait enfin arriver qu’un homme se tournât vers la philosophie, la littérature, la poésie, non par spéculation, mais par dilettantisme ou par goût, comme Sophocle, qui écrivit des tragédies plutôt que d’exploiter la forge de son père.

Celui qui, pour une raison quelconque, se désintéressait de l’administration de ses biens, trouvait dans les usages athéniens