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enchantée des contes de fées, attende le prédestiné libérateur humain. Il faut que chacune soit désenchantée, et marche vers le jour sous une forme humaine. Dans l’histoire de la découverte, la mûre et latente vérité semble s’être façonné un cerveau. Il faut qu’un aimant soit l’ait homme, en quelque Gilbert, ou Swedenborg, ou Œrsted, avant que l’esprit général en puisse venir à utiliser les puissances… L’homme, fait de la poussière du monde, n’oublie pas son origine ; et tout ce qui est encore inanimé, un jour, parlera et raisonnera. De l’impubliée nature le secret entier sera révélé. Dirons-nous que les montagnes de quartz fourniront la poussière d’innombrables Werners, Von Buchs et Beaumonts, et que le laboratoire de l’atmosphère tient en dissolution je ne sais quels Berzélius et Davys[1] ? » Comme si le génie de notre vie était jaloux des individus et ne voulait de grandeur pour l’individu que par le général, le grand homme emprunte toute sa grandeur à sa qualité représentative : il est l’exposant d’un esprit et d’une volonté plus vastes. De lui-même opaque, il ne nous devient transparent qu’illuminé par la Cause première.

C’est donc en un double sens que les grands hommes sont représentatifs : Representative Men. Mais, sous quelque aspect qu’on l’envisage, le génie n’est pas d’une autre essence que l’intuition en nous et le caractère. Il n’y a qu’une différence de degré. Les grands hommes ne forment pas une caste. Ils ne sont pas d’une autre essence que la masse. Loin d’être « une exagération de la nature, » ils sont les plus naturels des hommes. « La grande puissance géniale, dirait-on presque, consiste à n’être pas original du tout, à être une parfaite réceptivité, à laisser le monde faire tout, à souffrir que l’esprit de l’heure passe sans obstruction à travers la pensée[2]. »

De même essence que nous, comment les grands hommes peuvent-ils nous servir ? — Indirectement, et en ceci, que leur grandeur est contagieuse. C’est une illusion de croire qu’ils puissent intervenir dans notre vie, à la façon de magiciens, pour y faire apparaître des vertus étrangères ou des richesses ignorées, pour y mettre aujourd’hui ce qui n’y était pas hier. « Si les hommes nous sont secourables, c’est par l’intelligence et les affections. Tout autre secours, à mon sens, est une

  1. Representative Men, — Uses of Great Men.
  2. Ibid., — Shakspeare.