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Sur cent pièces, deux ou trois sont jouées cent cinquante fois, un quart « vont » passablement, et l’on compte un tiers de chutes. Les goûts de la foule se modifient : les « débuts, » qui autrefois, aux Français, étaient une ressource, parce qu’ils attiraient du monde, sont devenus une charge, parce qu’on attend, avant de venir le juger, que le débutant ait réussi. L’engouement des spectateurs payans pour les « premières » est presque passé ; la première représentation n’est guère plus courue par eux que la quatrième.

Est-ce crainte d’essuyer les plâtres et de risquer son argent avant d’être sûr de son plaisir ? Sans doute, puisque les demandes de « billets de faveur » ne diminuent pas. On estime que les théâtres de la capitale concèdent annuellement 1 500 000 places gratuites ; des milliers de Parisiens se croiraient humiliés de payer la leur dans ce lieu d’agrément, qu’ils ne se figurent pas être une usine ou une maison de commerce comme une autre. Ces billets de faveur se répartissent très inégalement : depuis quatre ou cinq, dans la salle qui fait recette, jusqu’à quatre ou cinq cents, au théâtre qui remplit les vides de son mieux, pour la pièce qui ne « marche » plus, avec des coupons distribués libéralement à tous les solliciteurs.

La majorité d’entre eux sont des journalistes, dont les politesses commandent la réciprocité : sur 200 lettres que le secrétaire d’une grande scène reçoit en un jour, 80 sont signées d’artistes, auteurs, compositeurs, du personnel, des amis et fournisseurs de la maison ; 120 émanent de la presse. Mais ce terme de « presse » embrasse les catégories les plus diverses. Dans le chiffre ci-dessus indiqué figurent 27 feuilles de province, 18 journaux de modes, 20 moniteurs financiers, 11 organes spéciaux, — Echos de la photographie ou Alliance dentaire, — et quelques périodiques ayant depuis longtemps cessé de paraître, mais dont le papier à lettres, avec en-tête, n’est pas épuisé.

Tel critique influent, tel dramaturge illustre, paie son entrée au bureau, parce qu’il dédaigne de donner son nom au contrôle, tandis que trois ou quatre demandes arrivent à la fois d’un quotidien de faible tirage, dont les rédacteurs, maigrement rétribués, transforment peut-être ces fauteuils ou ces loges en cadeaux libérateurs. Un chapelier se présente, porteur d’un billet de faveur périmé, — il s’était trompé de date. — Impossible de lui trouver une place ; il s’en va furieux en s’écriant : « Mais