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indigènes, mais ils n’élèvent ni leur moralité, ni leur intelligence. Le temps n’est plus où les grandes mosquées de Fez, Mouley-Idris et Karaouïn, rivalisaient avec Cordoue et attiraient les étudians de tout le monde musulman, où les sciences et les lettres, avec des hommes comme Ibn-Batouta et Averroès, jetaient un si vif éclat que la chrétienté elle-même en recueillait les reflets. Coupées du reste de l’Islam, privées de l’afflux rénovateur des idées et des sciences de l’Orient, volontairement isolées de tout contact avec les civilisations chrétiennes, les universités marocaines ne sont plus guère occupées qu’à relire et à apprendre par cœur le Livre du Prophète et les écrits de ses commentateurs les plus autorisés, comme Sidi-el-Boukhari.

Ainsi le Maroc d’aujourd’hui, impénétrable à toute infiltration des idées et des influences extérieures, en même temps qu’il est une citadelle et un centre de propagande de l’Islam, est aussi, dans l’Islam même, une anomalie et un anachronisme, comme il est une anomalie et un anachronisme au seuil de cette Méditerranée, qui a été le berceau et qui reste l’un des foyers les plus actifs de nos civilisations chrétiennes.


II

La conception d’une unité nationale, l’idée d’un État, au sens où nous l’entendons, sont inconnues dans le Maghreb-el-Aksa. La communauté de religion est le seul lien qui unisse les divers groupemens humains qui y vivent juxtaposés ; les uns et les autres connaissent et surveillent jalousement les frontières de leur petit territoire, mais ils n’ont aucune notion d’un organisme politique qui s’appellerait le « Maroc, » et dont le chef serait un « empereur. » Ce sont là des fictions créées par nos imaginations européennes.

« Un empire qui croule, » c’est le titre que l’on a donné à un ouvrage sur le Maroc ; mais, bien plutôt qu’un empire en décadence, le Maroc n’est pas encore un empire ; il est, si l’on veut, un empire en formation, un empire qui tend à sortir de la forme féodale et théocratique pour devenir un État moderne. Mais cette évolution est loin d’être achevée et l’histoire entière du Maghreb est là pour faire douter qu’elle puisse s’achever jamais, s’il est vrai que, depuis les Romains, tous les maîtres du pays ont usé leurs forces contre le particularisme indomptable