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des Berbères. Il semble bien que ni les Romains, ni les Vandales, ni les Byzantins, n’ont jamais soumis les massifs montagneux du Rif et de l’Atlas ; leurs fonctionnaires ne gouvernaient que les côtes et les plaines. — Les Berbères adoptèrent le christianisme, mais leur esprit d’indépendance se manifesta par le succès rapide des hérésies ; incapables de s’élever à l’idée d’unité, pas plus à celle d’Eglise qu’à celle d’Etat, ils embrassèrent avec ardeur le donatisme et l’arianisme ; et, plus tard, quand, après une longue résistance, ils eurent accepté l’islamisme, l’apparition, parmi eux, de dynasties nouvelles, la naissance et le succès de sectes hérétiques vint encore fournir à leurs passions autonomistes l’occasion de prouver leur invincible persistance. M. H. de la Martinière a montré, ici même[1], que l’idée directrice du gouvernement de Mouley-el-Hassan avait été la lutte contre le particularisme des tribus ; toute sa vie se passa à combattre l’influence de Mohammed-ben-el-Arbi-el-Derkaoui, fondateur de la confrérie des Derkaoua, qui incarnait à ce moment les résistances berbères.

Le sol du Maghreb, avec ses hautes montagnes, ses plateaux sauvages, a favorisé ces tendances à un farouche ! isolement, en offrant aux tribus des forteresses naturelles ; quelques-unes d’entre elles, dans le Rif surtout, ne parlent ni ne comprennent l’arabe ; d’autres, qui ont adopté la langue des conquérans, n’en jouissent pas moins d’une indépendance à peu près complète ; si elles révèrent, dans la personne du sultan, l’héritier du Prophète, ces très platoniques et très lointains respects ne suffisent pas à créer un lien politique solide. Les populations des plaines et les habitans des bonnes villes, qui obéissent aux caïds nommés par le sultan et payent régulièrement l’impôt, constituent le « pays de l’administration, » le bled-el-maghzen ; les autres, qui ne le payent pas du tout ou attendent, pour s’exécuter, qu’une armée chérifienne envahisse leur territoire, ravage leurs moissons et ruine leurs villages, et qui vivent dans leurs montagnes au gré de leur humeur sauvage, sous le gouvernement patriarcal de leur djemaà, forment le bled-es-siba ou « pays du vol. » Il est vrai que telle tribu, obéissante hier, se révoltera demain contre l’avidité d’un caïd, que telle autre, hier rebelle, aujourd’hui décimée, foulée par les troupes du sultan, fait sa soumission

  1. Le règne de Mouley-el-Hassan. Revue du 15 septembre 1894.