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le sultan lui-même, à supposer qu’il le voulût, qu’il pût même en concevoir l’idée, serait impuissant à réformer l’un ou l’autre ; il se heurterait invinciblement aux résistances de la vieille race berbère, si attachée à ses coutumes et à ses traditions ; il susciterait une de ces formidables révolutions, fréquentes dans l’histoire marocaine, qui emporterait la dynastie et installerait à sa place quelque chérif populaire, peu suspect de mépriser les vieilles mœurs. Une réforme radicale du gouvernement marocain ne pourrait être réalisée qu’avec l’aide et sous l’inspiration d’une puissance étrangère, qui prêterait au sultan son concours pour briser les résistances intérieures ; mais alors le Maroc ne serait plus qu’en apparence le Maroc ; le sultan continuerait de faire les gestes qui commandent, les caïds ne cesseraient pas d’exercer leurs fonctions, mais l’impulsion directrice et la force régulatrice viendraient du dehors : le Protectorat serait fait.

Appelée par un sultan réformateur ou provoquée par une crise intérieure, l’introduction d’un élément étranger dans les destinées du Maghreb-el-Aksa paraît probable. Abandonné à lui-même, soit à cause de l’inertie, soit à cause des rivalités jalouses des grandes puissances, le Maghreb pourrait demeurer indéfiniment dans ce moyen âge où il s’endort ; et peut-être, peu à peu, des sultans énergiques et éclairés parviendraient-ils à lui faire faire, dans le monde, figure d’Etat moderne. Mais le Maroc n’évolue pas en vase clos : riche et fertile, seul intact dans un continent ; partagé, seul inexploité dans une Afrique partout mise en valeur, il est l’objet d’ardentes convoitises qui ne laisseraient pas à une évolution spontanée le temps de s’y achever.


III

À notre époque d’impitoyable concurrence, vivre comme un anachronisme parmi les hommes et les choses de son temps, c’est se condamner à une claustration rigoureuse ou s’exposer au péril d’une domination étrangère. L’exemple du Maroc le prouve, lui qui, à cheval sur l’Atlantique et la Méditerranée, dans l’une des positions les plus avantageuses du monde, et recelant tant de richesses dans son sol et son sous-sol, reste plus fermé qu’une Chine, plus inaccessible qu’un Thibet. À mesure que nos civilisations s’avancent dans la voie du progrès matériel, et que des inventions nouvelles rendent toujours plus faciles et plus