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récompenser toujours les plus brouillons parmi ses sujets. »

Le nonce ne témoigna nulle surprise. Détestant lui-même Richelieu, il entre, avec joie, dans les vues de Luynes, et il en écrit de bonne encre à la cour pontificale : ce sont ses lettres qui nous renseignent.

Avant de quitter Poitiers, la Reine-Mère demande au nonce de venir la voir ; elle l’accable de protestations et le supplie de faire tout le possible pour obtenir une solution prompte en faveur de son cher évêque. Bentivoglio va, tranquillement, répéter ces propos au ministre Puisieux, qui lève les épaules et sourit. Six semaines après, à Paris, Bentivoglio reçoit la visite de l’évêque de Luçon qui vient protester de son dévouement au Saint-Siège. Le nonce est l’instrument joyeux de la fourberie de Luynes. Il se moque agréablement du solliciteur : « C’est une proposition extravagante, écrit-il à Rome. Il faut que la Reine soit hors de sens. Quant à cet évêque, c’est le plus effréné des ambitieux. Dieu le mortifiera. Quel déboire, quand il se verra exclu ! »

Plus la Reine insiste, plus le nonce s’amuse. L’ambassadeur de France à Rome a vent de quelque chose. Il craint qu’on ne lui fasse jouer un rôle ridicule. Il envoie, en France, un de ses secrétaires, nommé Mesmin, pour débrouiller l’intrigue. Mais les trois compères rient sous cape et le laissent marcher, tandis que Rome est avertie.

Rome hésite. Elle connaît la valeur de l’évêque de Luçon et craint, peut-être, en trempant dans une pareille intrigue, de se faire, un irréconciliable ennemi. Cependant, au fur et à mesure que Luynes, s’avançant vers le Béarn avec le Roi, voit le succès s’affirmer, il pousse vivement le nonce et insiste sur l’exclusion secrète, secrétissime, mais formelle.

Richelieu finit par se douter de quelque chose. Il reçoit, d’ailleurs, des avis secrets. Son fidèle ami, Gabriel de l’Aubespine, évêque d’Orléans, lui écrit : « Vous ne trouverez pas mauvais d’être averti qu’un chevalier de l’Ordre me dit, hier, que votre promotion n’est pas encore assurée et que le Pape était bien averti de trois choses qui vous peuvent nuire : qu’aviez juré avoir l’âge à Rome et que ne l’aviez pas ; que, durant votre charge de secrétaire d’État, aviez fait le pis contre le Saint-Siège que vous aviez pu ; que, nouvellement, vous aviez recherché les huguenots pour prendre les armes et servir avec la Reine-Mère ; qu’on aurait