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Et c’est là qu’est le danger. Si sûr de la faveur que soit un courtisan, il n’est pas à l’abri de ces piqûres de moustiques, qui irritent d’abord et qui font, parfois, de durables blessures.

Or, à un moment précis qu’il est facile de déterminer, cette polémique si vive et si dangereuse s’attaque obstinément et cruellement à la faveur de Luynes. Évidemment, il y a campagne décidée et campagne menée. L’arme existait ; quelqu’un la manie ; et il est facile de deviner d’où vient le mot d’ordre. Il vient des entourages de la Reine-Mère.

Au printemps de l’année 1620, un peu avant la bataille des Ponts-de-Cé, une sorte de pamphlet à demi officiel, intitulé les Vérités chrétiennes au Roi très chrétien, connu aussi sous le nom de Manifeste d’Angers, sonne la charge. Il est attribué, avec toute apparence, à Mathieu de Morgues, prédicateur de la Reine-Mère, esprit caustique, plume dangereuse, que Richelieu ménagea longtemps, mais qui, après avoir été son familier, devint, par la suite, son plus dangereux ennemi. Les Vérités chrétiennes sont d’un style âpre et net. C’est la pensée de la Reine-Mère, c’est la politique de l’évêque de Luçon, qui s’y trouvent développées : « Croyez, Sire, qu’il y a beaucoup plus de favoris ingrats que de mères sans amour pour leurs enfans… » D’après Mathieu de Morgues lui-même, le manifeste fut « grandement approuvé » par l’évêque de Luçon.

Un autre familier taille sa plume. Celui-là, Richelieu le rencontrera, aussi, dans tout le cours de sa carrière. Déjà, il est un ennemi caché auprès de la Reine-Mère. C’est un gentilhomme, un homme d’épée, un personnage avec qui il faut compter, Chanleloube. En décembre 1620, trois mois après la bataille des Ponts-de-Cé, il publie le Comtadin Provençal, qui prend Luynes directement à partie et qui procède, contre lui, méthodiquement. Le favori est accusé de six vices notables, savoir : incapacité, lâcheté, ambition furieuse, avarice insatiable, ingratitude non pareille, et d’être homme ni de foi ni de parole. On lui reproche sa naissance non française, puisqu’il est né à Mornas, au Comtat d’Avignon ; on lui reproche ses débuts si modestes, lui et ses frères n’étant bons, d’après leur premier protecteur, le comte de Lude, « qu’à dénicher des geais verts ; » on s’étonne de cette fortune d’un petit fauconnier, « qui, depuis son hors de page jusqu’au 24 avril 1617, n’avait gouverné autre chose que des esperviers. » Tous les traits portent. La langue est vive,