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Richelieu sut à quoi s’en tenir, quelques années plus tard, et voici le terrible réquisitoire qu’il insère, dans ses Mémoires, sur l’homme qui avait, si adroitement, forcé son intimité : « Le Roi fit arrêter un nommé Fancan, pour lui faire expier une partie des crimes qu’il avait commis. De tous temps, il s’était déclaré, plus ouvertement que ne pouvait un homme sage, ennemi du temps présent. Rien ne le contentait que les espérances imaginaires d’une République qu’il formait selon le dérèglement de ses imaginations… Son exercice ordinaire était de composer des libelles pour décrier le gouvernement, de rendre la personne du prince contemptible, les Conseils odieux, exciter à sédition, chercher de beaux prétextes pour troubler le repos de l’Etat, et, sous le nom de bon François, procurer la perte du royaume… En cette considération, il avait pris, de tout temps, intelligence avec les protestans étrangers, auxquels il servait de fidèle espion, d’autant plus à craindre que sa condition le rendait moins suspect. Il se servait envers eux de l’entrée qu’il avait en diverses maisons des ministres, pour, sous prétexte de bons avis, leur donner de fausses alarmes pour les armer contre l’Etat… »

Cet « espion, » c’est dans le cabinet de Richelieu qu’il espionnait. Ces « entrées, » c’est chez Richelieu qu’il les avait. Ces « avis, » c’est à Richelieu qu’il les donnait. Richelieu ne pardonna pas d’avoir été trompé, ou il ne voulut pas dire jusqu’à quel point il lui avait plu de se laisser tromper. Fancan lui avait été utile ; Fancan devenait dangereux ; Fancan, ses avis et sa mémoire disparurent dans l’ombre et le secret de la Bastille.

Mais, en 1621, au moment où il recevait de Fancan les conseils hardis contenus dans la lettre intime qu’il se laissait adresser, au moment où il lisait, avant qu’ils parussent, des livrets comme les Remontrances au Roi et la Chronique des Favoris, au moment où il étudiait les mémoires si précis et si documentés sur les affaires d’Allemagne, l’évêque de Luçon ne cherchait pas à démêler les raisons du zèle dont cet officieux faisait étalage. Ayant tout intérêt, alors, à ménager le parti protestant, l’évêque avait tout avantage à s’instruire exactement des intérêts qui étaient en jeu dans les conflits internationaux. Cet homme était pour lui un éducateur, un indicateur, et peut-être un intermédiaire.

Mathieu de Morgues et, d’après lui, des écrivains plus récens