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Père Joseph laisse, comme on le voit, subsister quelque doute sur certains côtés obscurs du caractère de l’homme. Les ennemis du Père se sont expliqués plus durement : Mathieu de Morgues, qui est un adversaire acharné, fait de lui ce portrait sanglant : « C’est le bon Père qui crève d’ambition dans un sac de pénitence ; qui veut tirer à soi les plus grandes dignités de l’Eglise avec une grosse corde et qui a caché, sous un rude capuchon, le désir d’avoir un bonnet d’écarlate. C’est un homme qui a voulu fonder autrefois, sur une révélation feinte, une chevalerie qui ne dura que six mois, et qui devait prendre le Grand Turc dans un an : c’est un esprit petit, inquiet, qui parle beaucoup et ne dit rien de bon. »

Voilà qui nous rapproche davantage du Père Joseph de la légende. Méconnaissons que la vie du Père Joseph, trop souvent contradictoire, fuyante, insaisissable, autorise parfois un si noir crayon. Il ne faut tomber dans aucun excès, ni vouloir faire de lui un trop grand homme, ni un trop saint homme. Ce fut une âme très chaude, une imagination très puissante, une intelligence très déliée ; ce fut surtout un incomparable ami. Mais son amitié et sa conscience protesteraient, si l’on exagérait son rôle auprès du grand ministre qu’il avait accepté pour chef et qu’il servit, comme il le dit lui-même, « à la vie, à la mort. »

Dans la période qui précède l’arrivée de l’évêque de Luçon au cardinalat et, pour la seconde fois, au ministère, le Père Joseph représentait, auprès de lui, le parti catholique. Il était comme la contre-partie de Fancan. Celui-ci lui accordait parfois, du bout des lèvres, le nom de « capucin bon françois. » Ils s’employaient ensemble, selon les vues de l’évêque, soit à la polémique contre Luynes, soit aux affaires d’Allemagne, et notamment à certaines intrigues du côté de la Bavière où d’autres capucins étaient mêlés. Mais il n’y avait, probablement, dès lors, entre eux, aucune sympathie. Cette froideur réciproque devait se transformer, un jour, en une hostilité déclarée.

Le Père Joseph n’aimait pas ce chanoine si hardiment huguenot et ce « bon François » si dévoué aux intérêts de l’étranger. Sa perspicacité et ses soupçons étaient en éveil. Il comprenait que Richelieu ne pouvait que perdre en compromettant sa dignité d’évêque catholique dans ces relations et ces intrigues louches. Si son ami se fut laissé entraîner par les astucieux conseils du Machiavel obscur, il l’eût retenu, assurément, d’une