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n’est peut-être pas très claire. Il dit encore : « Pas une chauve-souris ne résiste à l’aube. Eclairez la société en dessous ; » et ceci deviendrait presque intelligible, s’il n’appelait dans la même page la Sorbonne un asinarium et nos collèges des « huîtrières artificielles. » « L’harmonie se rétablira entre l’âme et l’astre : rame gravitera autour de la vérité comme l’astre autour de la lumière : » voilà de son style, aux instans où il veut faire son office de penseur, où il envisage le problème social, et où, selon son mot, il « ausculte la civilisation. » Il y a ainsi trop de morceaux dans les Misérables qui ressemblent à des professions de foi électorales et qui en ont toute la creuse emphase. Et, par le fait, depuis 1848, Hugo était un homme politique ; il avait été député de Paris, il espérait le redevenir, et il lui arrivait, en écrivant, de penser à ses électeurs. Il y a deux passages des Misérables où cette préoccupation se trahit d’une façon assez amusante. Dans le premier, parlant de Thénardier, qui tient une auberge à Montfermeil et qui est passé maître dans l’art de rançonner les voyageurs : « Il eut fait les choses en grand, écrit-il, s’il eût été en Suisse ou dans quoique ville d’eaux, mais, où le sort attache l’aubergiste, il faut qu’il broute ; » et soudain, pris d’un remords, il ajoute : « On comprend que le mot aubergiste est employé ici dans un sens restreint et qui ne s’étend pas à une classe entière. » Je ne vois pas bien ce que peut être le sens restreint du mot aubergiste, mais je me doute qu’en s’efforçant ainsi de le restreindre, le poète avait en vue quelques-uns de ses électeurs les plus influens. Plus loin, après avoir écrit une page émue, respectueuse et parfaitement belle, sur la vie du cloître, sur l’utilité de la prière, sur la beauté de l’expiation pour autrui, le même scrupule l’arrête : « Ici, conclut-il, toute théorie ; personnelle est réservée, nous ne sommes que narrateur ; c’est au point de vue de Jean Valjean épie nous nous plaçons, e-t nous traduisons ses impressions. » O fâcheuse politique, qui oblige les poètes à s’excuser d’avoir été l’esprit, d’avoir du génie, et de comprendre le beau et le bien sous leurs formes les plus diverses !

En y mettant quelque application, je crois cependant que nous pouvons arriver à définir le progrès tel que le concevait Hugo ; et peut-être le programme, qui d’abord nous semblait confus, va-t-il, au contraire, nous paraître singulièrement précis et limité. Sous tant de périodes retentissantes et de somptueuses