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festent le plus volontiers les initiatives ou les tolérances. Mais y a-t-il gain au point de vue militaire ? C’est la vraie question, et c’est maintenant ce que nous avons à nous demander.

Ce n’est guère probable. L’armée est un grand tout dans lequel ceux qui sont chargés d’opérer l’amalgame se réjouissent de voir entrer des unités aussi indépendantes les unes des autres que possible. La résistance à la militarisation provient bien rarement de l’individu. Neuf fois sur dix, elle provient de la collectivité restreinte ou étendue dont l’individu a fait partie avant d’arriver au régiment. Aujourd’hui on déclare volontiers, il est vrai, que cette résistance est un bien : mais ceux qui parlent ainsi sont des théoriciens partisans d’une formule disciplinaire et pénétrés d’une conception des rapports de l’officier avec le soldat qui reposent sur des raisonnements et non sur des faits. Nous ne pouvons les suivre sur ce terrain et nous continuons d’envisager la discipline et les rapports de l’officier et du soldat tels qu’ils existent dans toutes les grandes armées du monde, dans toutes celles du moins qui sont préparées pour l’offensive, et c’est bien à l’offensive que songent M. Rudyard Kipling et les plus ardens impérialistes d’outre-Manche. Il n’est nullement désirable, au point de vue de la perfection professionnelle, que les jeunes gens qui composent de telles armées aient traversé ce qu’on peut appeler « l’apprentissage social ; » ce serait plutôt à craindre. Sans doute il faut distinguer entre les groupemens dont ils ont fait partie. Comment comparer l’action exercée par la fréquentation d’une Bourse du travail, d’un cercle collectiviste ou même d’un de ces cénacles où l’anarchisme se dissimule sous les reflets d’un intellectualisme raffiné, avec l’influence d’un honnête club de foot-ball ou d’une société d’escrime ou de courses à pied ? Il n’en est pas moins vrai que les uns comme les autres de ces groupemens engendrent des habitudes de libre appréciation, un sentiment d’égalité, des tendances à la coalition et à la discussion qui ne sont pas utilisables dans l’armée et peuvent parfois faire obstacle à la militarisation totale de l’individu. Du jour où le service obligatoire se trouverait imposé aux Anglo-Saxons, on s’apercevrait que cet obstacle n’est pas négligeable.

Nous en venons donc à cette conclusion que le sport est une excellente préparation physique au service militaire, qu’il peut engendrer ou fortifier des qualités morales nécessaires au soldat, mais qu’il s’accompagne nécessairement d’un apprentissage social plus propre, dans les temps actuels, à servir les intérêts de la démocratie que ceux de l’armée. Le bénéfice final, à mon avis, est encore considérable, et