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juger de son élégance ? Voyez-le dans la scène des almanachs, Tune des deux ou trois scènes supérieurement traitées de la pièce de M. Lavedan. Ce bourreau des cœurs a fait venir chez lui, dans la salle des exécutions, une jeune femme. Il commence par l’exciter en lui montrant des gravures obscènes. Après quoi, au moment où l’amoureuse va s’abandonner, il lui fait une grimace de singe et la congédie. Il y a, pour désigner ce génie de procédés, des termes spéciaux dans l’argot des barrières. Ce sont, dans leur inconvenance, les seuls qui conviennent. Car le décor ne fait rien à l’affaire et peu importe qu’on ait un titre de marquis, quand on a la conduite d’un goujat.

Don Juan était brave ; le sentiment de l’honneur lui tenait lieu de conscience ; il lui restait quelque moyen de rattraper sa propre estime, sinon la nôtre. Dans la société où le type nous apparaît pour la première fois, société romanesque, chevaleresque, où il y avait de l’imprévu, où les caractères n’étaient pas amollis, où les mœurs n’avaient pas perdu toute leur rudesse, la carrière du séducteur avait quelque chose de la carrière des aventures. Elle représentait une série d’enlèvemens, de duels, de surprises, de coups donnés ou reçus. On risquait la vengeance, non seulement d’un mari, mais d’un père, d’un frère, d’un parent engagé d’honneur à ne pas laisser impunie l’insulte faite à la famille. Nous vivons dans un temps où, — par bonheur, — de tels désagrémens ne sont plus à craindre. On n’a plus le droit d’être son propre justicier : le divorce a tout de suite fait de réparer les accrocs donnés à la foi conjugale ; une législation de tout repos protège le suborneur. Dans notre société policée, régularisée, assagie, que risque le séducteur ? Il risque le commissaire de police, le tribunal correctionnel, et seize francs d’amende.

L’impiété elle-même avait jadis un air de défi, l’incrédulité était légère : M. Homais, en passant par là, a beaucoup changé les choses. Le scepticisme était une bravade : il est tombé à la qualité de denrée de consommation courante. Les aphorismes dont nous voyons s’éblouir et s’épouvanter le philosophe Priola, où n’ont-ils pas traîné ? Dans quelles vagues gazettes n’ont-ils pas été ressassés, et quel « penseur » de collège n’en a régalé les jouvenceaux de son âge ?

Arrivons à ce qui, chez M. de Priola, est caractéristique, Je crains qu’en lui attribuant des origines exotiques, l’auteur ne nous ait déroutés. Ce bellâtre cosmopolite est en fait un proche parent du prince d’Aurec. Il appartient à ce même monde de gentilshommes oisifs, de viveurs, de gens de cercle et de sport dont M. Lavedan s’est fait l’historiographe. Par une sorte d’atavisme, ou peut-être parce qu’au