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père, Nicolas Brulart de Sillery était chancelier du royaume. Il occupait cette fonction depuis quinze ans. Henri IV l’avait choisi ; Marie de Médicis l’avait gardé ; il était un des « Barbons. » Le maréchal d’Ancre l’ayant écarté, Luynes l’avait rappelé et il avait vécu très effacé, et souvent très mortifié, sous la hautaine domination du favori. Depuis longtemps déjà, il avait trouvé moyen de glisser son fils, Puisieux, dans les fonctions de secrétaire d’État aux Affaires étrangères. En se faisant tous deux très petits, ils avaient vécu, et tissé leurs trames : ils avaient amassé une grande fortune, contracté des alliances, s’étaient constitué une manière de parti parmi le peuple des subalternes qui s’attache à ce qui dure. D’ailleurs, l’un et l’autre savaient le métier ; ils eussent été de bons ministres, si on pouvait faire des âmes de ministres avec des âmes de commis.

Sillery était homme d’expérience, de prudence consommée, écrivant bien et beaucoup, doux, facile, insinuant. Un contemporain le dépeint en quelques traits précis : « il écoute paisiblement, répond doucement, prend hardiment et donne du galimatias longuement. » Son esprit inquiet était encore entravé par l’âge, l’avarice, la timidité et les impuissantes qui viennent de l’extrême vieillesse.

Son fils, Puisieux, était né dans le sérail. Sous Henri IV, le père avait obtenu pour lui, alors qu’il n’avait que dix-sept ans, le titre et les fonctions de secrétaire d’État. Depuis tors, il avait vécu à la Cour, éloigné seulement, pendant quelques mois, au temps du maréchal d’Ancre. En prenant de l’âge et de la pratique, il avait su se rendre utile au duc de Luynes ; il connaissait les affaires étrangères, savait parler aux ambassadeurs, savait surtout les écouter et les renvoyer à demi satisfaits, avec de bonnes paroles inutiles. Si la conduite des affaires extérieures pouvait se réduire à une perpétuelle abstention, il eût été l’idéal des ministres. N’ayant pas une idée à lui, il prenait celles des autres, et comme il en changeait souvent, il paraissait en avoir beaucoup ; il entretenait ainsi sa réputation, par une tactique assez habile de plagiat discret et d’évolutions sournoises. Un pamphlet du temps dit, à propos de ce personnage : « Il faut que vous sachiez que, de tout temps, on a appelé Galbouziers ceux qui prennent le nom de celles qu’ils épousent. » Or, Puisieux était très honoré de l’alliance d’une Étampes de Valençay, et c’était une opinion à la Cour que, si l’on voulait obtenir une faveur,