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Dante a placé Guido Guinicelli dans son Purgatoire : « Tels se montrèrent ces deux fils en revoyant leur mère en butte à la colère de Lycurgue, dit-il, tel je me montrai, mais non avec autant d’empressement que j’aurais voulu, — Quand je l’entendis se nommer lui-même, Guido, mon père, et le père de beaucoup d’autres meilleurs que moi, qui ont écrit des rimes d’amour douces et gracieuses. »

Ce passage suffirait à prouver la haute estime en laquelle Dante tenait le génie de Guido. — Mais, au cours de l’œuvre dantesque, plusieurs autres témoignages viennent corroborer celui-ci. C’est, par exemple, une citation de la Vita Nuova : « L’amour et un noble cœur ne font qu’un, comme a dit le sage. » Ce sage n’est autre que Guido Guinicelli. Dante le cite également dans son traité De Vulgari Eloquio ; il lui donne les épithètes de noble et de grand. On s’accorde, en effet, à reconnaître en lui le plus célèbree des poètes italiens qui précédèrent Guido Cavalcanti et l’Alighieri.

Ce Guido Guinicelli appartenait à une famille princière. Il avait épousé Béatrice della Fratta, dont il eut un fils également appelé Guido. D’abord il vécut à Bologne, une des villes qui jouirent au moyen âge d’un haut renom scientifique. Il fut ensuite podestat de Castelfranco, puis il mourut exilé.

Il avait commencé par prôner la poésie de Guittone d’Arezzo, mais il devint lui-même fondateur et chef d’école, groupant autour de lui Guido Ghislieri, Onesto Bolognese, Fabrizzio de’ Lambertazzi. Les jeunes poètes amis et contemporains de Dante le vénérèrent comme un père, comme le père du u doux style nouveau. » Guido Cavalcanti, Lapo Gianni, Cino da Pistoja, Dante lui-même, proclamèrent donc bien haut qu’ils étaient de sa descendance intellectuelle. Quelle fut l’originalité de Guido Guinicelli ? Sans doute elle apparaît clairement : avec lui, la théorie amoureuse du moyen âge, en s’amplifiant, s’élève d’un ou de plusieurs degrés. Il fait pressentir Dante et Béatrice. Tel de ses sonnets est réellement l’aïeul des sonnets de la Vita Nuova. La beauté de la dame s’est spiritualisée ; la beauté de son visage reflète celle de son âme, et noble doit être l’amour qui se loge dans un noble cœur. L’amour s’abrite dans un noble cœur, comme l’oiseau dans la verdure de la forêt. Ce sont les accens de Guinicelli[1]. Et ce cœur noble et pur, ajoute le poète de Bologne,

  1. Al cor gentil ripara senipre Amore
    Come a la selva augello in verdura.