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docile assiduité, vous en trouverez vingt dont le temps se consume en frivolités et en musardise. Ils n’ont point ces fantaisies ni cette fureur de paradoxes d’une jeunesse intelligente qui jette sa gourme. C’est en vain que, dans l’aile gauche de l’École des Beaux-Arts, — gloire et scandale ! — le fougueux Kuroda sonne la charge contre ses collègues de l’aile droite et lance ses rapins à la conquête du Nu : s’ils affectent parfois des allures tapageuses et si d’aucuns même laissent croître leurs cheveux, leur imitation des artistes européens ne dépasse guère ces médiocres singeries. Sauf quelques exercices de sabre, ils ne s’adonnent à aucun sport. Ces fils de paysans ou de petits provinciaux, dont l’entretien, hélas ! représente aux yeux de leur père un placement avantageux, savourent en paix les délices de l’oisiveté.

Ils se lèvent vers neuf heures : de neuf à dix, les balcons intérieurs des hôtels retentissent du lavage de ces messieurs, qui se débarbouillent, se rincent la bouche, se nettoient les dents, se gargarisent, toussent, crachent, reniflent, s’ébrouent, font plus de bruit qu’une bande de phoques au milieu d’un bassin. Puis ils rentrent dans leur chambre, s’étendent sur les tatami, lisent les journaux et, jusqu’au déjeuner, donnent audience à leurs fournisseurs. Tous les matins le loueur de romans se présente et discute avec eux l’emploi de leurs loisirs. Le déjeuner pris, on se rend visite, on joue de la flûte, on se chatouille à la façon des lutteurs ou, comme les Italiens dans leurs parties de morra, on se livre des duels imaginaires au moyen de signes conventionnels. Du haut en bas de l’hôtel, ce ne sont que claquemens de mains et servantes qui montent et descendent chargées de théières et de gâteaux secs. Après le dîner, servi à six heures, nos étudians se promènent et quelquefois leur promenade les conduit jusqu’au lendemain matin. Ceux qui réintègrent leur domicile reprennent leur flûte, s’installent devant des jeux d’échecs, déclament des romans, se poursuivent à travers les chambres ou dissertent sur l’élégance des calembours à la mode. Quand ils ont ainsi passé huit ans de leur vie, également impropres à tous les métiers, dégoûtés de la maison paternelle, ils vont grossir le nombre des cabotins ou celui des sôshi, à moins que leur fortune personnelle ne les range parmi les candidats à la députation.

D’ailleurs, ces jeunes gens, polis envers leurs propriétaires et discrets envers leurs petites bonnes, ne sont point la terreur