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Gorlois, fils de Hatto, on ne figure pas aisément quatre générations d’hommes à la scène. On ne les engage pas aisément, quelque liberté qu’on se donne quant au temps et aux lieux, dans une action commune. Mais ce qui n’est pas facile à « figurer » sur la scène, l’est à « exposer » dans le temps. La chronologie, dont le théâtre n’a jamais accepté la contrainte, est le support ou la matière même de l’histoire. Ce qui s’engendre et ce qui sort l’un de l’autre, successivement, voilà proprement son domaine. « Dégradation » ou « progrès, » on n’a peut-être inventé l’histoire que pour en « dresser l’échelle. » Et si l’histoire traitée par un poète, c’est le « roman » ou « l’épopée, » lesquels eux-mêmes ne font qu’un, voilà comment, de faussement ou d’artificieusement « dramatique, » le génie de Victor Hugo est devenu finalement « épique. »

On a pu croire un moment qu’il redevenait purement lyrique c’est à l’époque de la publication des Châtimens, 1852, et des Contemplations, 1856. La satire, quand elle est « poétique, » n’est en effet qu’une espèce ou une variété du lyrisme ; et tous les satiriques ne sont pas des lyriques, parce qu’ils ne sont pas tous poètes, mais on ne connaît guère de lyrique ou d’élégiaque, — sans même en excepter Lamartine, — qui n’ait admirablement réussi dans la satire. Aussi bien Hugo l’avait-il prouvé dès ses débuts, dans ses premières Odes, et des pièces telles que Quiberon, ou les Vierges de Verdun, sont « satiriques » au même titre que l’Expiation, par exemple, ou l’Obéissance passive :


Sous des murs entourés de cohortes sanglantes
Siège le sombre tribunal ;
L’accusateur se lève, et ses lèvres tremblantes
S’agitent d’un rire infernal.
C’est Tainville ; on le voit, au nom de la patrie,
Convier aux forfaits cette horde flétrie
D’assassins, juges à leur tour ;
Le besoin du sang le tourmente ;
Et sa voix homicide, à la hache fumante
Désigne les têtes du jour…


Quant aux Contemplations, elles contiennent, il est vrai, quelques-unes des inspirations les plus lyriques du poète, ainsi les Mages, que nous citions plus haut, mais les trois quarts du recueil sont antérieurs à 1818, et tandis qu’Hugo le complétait, pour ainsi dire, à temps perdu, les deux œuvres qui l’occupaient