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pour longtemps indisponible par la guerre sud-africaine. L’expérience de cette guerre a pu, en outre, faire douter de sa valeur. Le Japon se présentait. Négligeons, si l’on veut, sa flotte, puisque l’Angleterre en a une et la plus puissante de toutes ; mais il a aussi une armée, et c’est précisément ce dont l’Angleterre a besoin. Si le Japon consentait à devenir en Extrême-Orient le soldat de l’Angleterre, il pouvait lui rendre un service considérable, et qui ne serait jamais mieux apprécié qu’en ce moment. Le Japon y a consenti ; à quel prix, on le saura plus tard. L’Angleterre ne donne rien pour rien ; le Japon aurait peut-être pu demander au Portugal ce que la protection britannique lui a coûté. Mais il a besoin d’argent autant que l’Angleterre a besoin d’une armée, et il faut s’attendre à ce qu’il contracte bientôt un emprunt sur le marché de Londres.

On le voit donc, Angleterre et Japon devaient éprouver une tendance mutuelle à se rapprocher, tendance bien forte de la part de la première, puisqu’elle a conclu un traité si contraire à ses traditions, et bien séduisante pour le second, puisqu’il a accepté des charges qui, à un moment donné, pourront devenir très lourdes. Le principe fondamental du traité est en effet celui-ci : en cas de guerre, si l’un des alliés n’a qu’un adversaire devant lui, l’autre n’est tenu qu’à une stricte neutralité, et aussi à faire ses efforts pour y maintenir les autres puissances ; mais, si un des alliés a deux adversaires en tête, l’autre doit venir à son aide, faire la guerre avec lui et conclure la paix, d’un commun accord. On s’est demandé au profit duquel des deux contractans le casus fœderis viendrait le plus vraisemblablement se poser. Il ne nous paraît pas douteux que ce ne soit au profit de l’Angleterre. Si le Japon avait la guerre, ce ne pourrait être qu’avec la Russie, et il n’est pas probable qu’aucune autre puissance y prenne part. Les intérêts de la Russie sont tous dans le continent asiatique. Mais, si l’Angleterre avait la guerre, ses intérêts, qui s’étendent à toutes les parties du monde, l’Afrique, l’Asie, l’Océanie, et même à certains points de l’Amérique, pourraient, beaucoup plus facilement, amener contre elle la coalition de plusieurs puissances : dans ce cas, le Japon serait obligé de marcher à son secours. Et nous ne parlons pas de l’Europe, où l’Angleterre et la Russie ont aussi des intérêts. On ne dit pas si le casus fœderis viendrait à se poser dans le cas, où ils seraient directement compromis ; mais c’est, à coup sûr, une grande complication pour une puissance d’Extrême-Orient de contracter une alliance militaire avec une puissance d’Extrême-Occident. Le traité est fait pour cinq ans, pendant lesquels on pourra le mettre à l’épreuve.