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par les convoitises de ses ennemis ou par la turbulence de ses peuples. Et toujours la vieille monarchie, en apparence hétérogène, a survécu aux insurrections nationales ou à la défaite de ses armées, comme si elle possédait en elle-même, aussi bien que dans les rivalités de ses voisins, une force occulte, un mystérieux principe de vie et de cohésion qui la fait vivre et durer. Cette raison d’être qui, pour la paix et pour l’équilibre de l’Europe, a jusqu’ici maintenu la monarchie des Habsbourg, à travers toutes les guerres et toutes les révolutions, nous ne voulons pas aujourd’hui chercher en quoi elle consiste, ni si elle conserve encore toute sa force. Il nous suffira de remarquer qu’au début du XXe siècle, comme aux siècles précédens, l’Autriche possède encore les trois choses qui ont le plus contribué à la tenir debout, une dynastie, une armée, une administration. Si elle est formée de nationalités différentes et comme de fragmens de peuples divers, ces nationalités rivales demeurent si bien enchevêtrées les unes dans les autres qu’il est malaisé de les séparer, et que, en dedans ou en dehors de leur vieux cadre historique, force leur sera, le plus souvent, de continuer à vivre ensemble.

Une chose apparaît à tous et explique les inquiétudes, heureusement outrées, suscitées, chez nous, par l’avenir de l’Autriche Hongrie : c’est que la dissolution ou le partage de la monarchie autrichienne serait, pour l’Europe, et pour la France en particulier, un événement plus grave que toutes les révolutions territoriales du XIXe siècle. La gravité même de l’événement le rend moins vraisemblable, d’autant qu’il ne renverserait pas seulement le précaire équilibre de l’Europe, mais aussi l’équilibre intérieur du jeune empire qui, de loin, semblerait en devoir tirer le plus de profit[1].

Si grandes que paraissent les difficultés intérieures de la politique autrichienne, si ardentes et si imprudentes en leur inconciliable exclusivisme que soient les compétitions des différens peuples de la monarchie, les liens matériels qui les unissent sont trop solides, l’ascendant moral de la dynastie est encore trop puissant pour que la dislocation s’opère par le dedans ; et ce qui semble ne pouvoir se faire, au moins à brève

  1. Voyez les études de M. Charles Benoist sur la Monarchie austro-hongroise et l’Equilibre européen, Revue du 15 octobre, du 1er décembre 1897 et du 15 juillet 1898, et sur l’Europe sans Autriche, Revue du 15 novembre 1899.