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par quelques-uns, redoutée du plus grand nombre, l’Autriche-Hongrie pèse, d’un grand poids, sur la péninsule balkanique. À l’heure où, monarchies et républiques, les grands États des deux mondes cèdent aux séductions de l’impérialisme, on ne saurait s’étonner que, si conservatrice et prudente qu’elle soit, la vieille monarchie ait, elle aussi, ses rêves de politique impériale. L’impuissance et le désarroi croissant du gouvernement turc, les -incertitudes et les inconséquences de la diplomatie européenne, ne sont pas pour le lui interdire. Si l’Europe reste toujours oublieuse des engagemens pris au Congrès de Berlin, si les réformes promises à la Macédoine et aux provinces chrétiennes laissées à la Turquie demeurent longtemps lettre morte, le jour pourra venir où l’Autriche-Hongrie reprendra sa marche vers les flots bleus des mers du Sud et mettra les Bulgares, les Serbes et les Grecs d’accord, en les évinçant également de la vallée du Vardar, pour y apporter la paix autrichienne. Aux puissances qui redoutent l’ambition des Habsbourg de la prévenir en dotant la Macédoine et l’Albanie d’institutions autonomes, qui leur puissent assurer la sécurité.

La Bosnie et l’Herzégovine, véritables marches du Balkan, sont, aux mains de l’Autriche, comme un champ d’expériences administratives, en même temps qu’une base d’opérations militaires. Placées à l’un des carrefours de la politique européenne et comme à l’entre-croisement des ambitions rivales, ces deux provinces, à la fois orientales et alpestres, ont, pour le Balkan et pour l’Europe une importance fort supérieure à leur étendue et à leur valeur économique. En outre, l’organisation et la mise en valeur de cette sorte de protectorat ou de colonie continentale nous offrent, à nous Français, d’utiles rapprochemens avec la Tunisie ou l’Algérie. Autant de titres qui méritent à la Bosnie-Herzégovine l’intérêt des politiques et des « coloniaux. » Cela suffirait pour attirer l’attention sur une ample monographie de ces pittoresques contrées, entreprise, sous l’impulsion d’un homme d’initiative, par un groupe d’écrivains et de savans français. Nous possédons, ainsi, en notre langue, sur une des régions les plus curieuses de l’Orient, un ouvrage complet et impartial, que j’aurais moins d’embarras à louer, si je n’en avais moi-même rédigé quelques chapitres[1].

  1. La Bosnie et l’Herzégovine, ouvrage publié sous la direction de la Revue générale des Sciences ; Paris, librairie Armand Colin.