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Cette taxe épiscopale, appelée en serbe la vladikarina (du nom de vladika, évêque), était une sorte de capitation, montant à un peu moins d’un franc par tête, que chaque métropolite prélevait, comme un impôt, sur les ouailles de son diocèse. La dignité des chefs de l’Église orthodoxe a sans doute gagné à être affranchie de ces pénibles soucis temporels et de la dure nécessité de taxer, pour vivre, une population souvent misérable. On ne saurait dire, cependant, que l’autorité morale de l’épiscopat en ait été rehaussée. Le peuple serbe orthodoxe, habitué à regarder son Église comme le refuge de sa nationalité, se montre parfois défiant de ces métropolites nommés et rétribués par le gouvernement. Il est enclin à suspecter leur indépendance et à les considérer moins comme les chefs autorisés de l’Église nationale que comme les agens ou les instrumens d’un pouvoir étranger.

Ces défiances d’une partie de la population orthodoxe ont donné, durant les dernières années, de persistans embarras au haut clergé et au gouvernement bosniaque. Ces provinces slaves n’ont pas échappé aux luttes politico-religieuses, autour de l’Église et de l’École, dont ont souffert tant d’États de l’Occident. Pour en comprendre l’origine et l’importance, il faut savoir ce qu’était la paroisse ou la commune orthodoxe, sous la domination turque, et par quels changemens il lui a fallu passer, sous l’administration autrichienne.

La Turquie était demeurée, en ses provinces écartées surtout, comme la Bosnie, le pays traditionnel des autonomies locales, nationales ou religieuses. L’arbitraire des pachas et les violences rapaces des begs n’empêchaient pas les raïas de conserver, à travers l’oppression, de précaires, mais réelles libertés, que fortifiaient souvent l’incurie ou le mépris de leurs maîtres musulmans. C’est ainsi que, sous le régime turc, à l’abri d’une centralisation encore impuissante, la commune ou paroisse serbe orthodoxe, la srpska obcina, était en possession d’une large autonomie. Elle s’administrait librement elle-même, par la main des notables qui étaient à sa tête. Elle gérait, à son gré, les affaires de son école et de son église ; elle choisissait elle-même son pope et son instituteur et les entretenait, le plus souvent, à ses frais. Cette commune serbe recevait librement des dons et des legs ; elle possédait parfois des biens considérables qu’elle administrait à sa guise, en dehors de toute ingérence et de tout contrôle du pouvoir.