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nationale du monde serbo-croate. Seule peut-être, l’union peut ouvrir la voie au grand songe des patriotes iougo-slaves et, de ces deux peuples jumeaux, séparés par des rivalités séculaires, refaire une nation et un peuple. Pour mettre un terme à l’espèce de schisme national qui divise le Serbe et le Croate, il semble que le plus sûr moyen soit de mettre fin au schisme religieux qui a été le principe ou la cause première de leur séparation et de leur long antagonisme.

Le sentiment patriotique se joint ainsi au sentiment religieux pour entretenir, chez les Serbo-Croates catholiques, l’espérance de l’union des Églises. Ce grand rêve, il fut un temps où la politique autrichienne l’eût sans doute encouragé, alors que le gouvernement de Vienne cherchait dans l’unité religieuse la cohésion que ne lui pouvait donner la composition hétérogène des peuples de l’Empire. Aujourd’hui, les espérances des catholiques iougo-slaves excitent, à Vienne et surtout à Budapest, plus de défiances que de sympathies. L’Autriche-Hongrie a beau nous apparaître comme le porte-drapeau naturel des influences catholiques, aux bords du Danube et de la Save, la politique austro-hongroise est loin de toujours seconder les aspirations de Rome ou les ambitions du clergé catholique. Les raisons qui font désirer, à Zagreb et à Diakovar, l’union des Églises la feraient. plutôt redouter, à Vienne et à Pest. Aux yeux des Allemands et des Hongrois de la monarchie habsbourgeoise, cette union, tant souhaitée des patriotes croates, n’est qu’une forme du panslavisme, d’un panslavisme iougo-slave qui, pour la monarchie dualiste, serait peut-être plus périlleux que le panslavisme moscovite, champion de l’orthodoxie orientale. Et en effet, si le panslavisme doit jamais être autre chose qu’un épouvantail aux mains des adversaires des Slaves, s’il peut jamais opérer une réunion, une alliance ou une libre confédération de tous les Slaves, ou seulement des Slaves du Sud, l’union des Églises en semble la préface nécessaire. Ainsi paraît-il en devoir être, à plus forte raison, de l’unité croato-serbe et du panserbisme. La paix entre les deux Églises et les deux rites serait le meilleur moyen de faciliter la paix et l’amitié entre les deux peuples rivaux ; elle seule scellerait l’entente entre les deux rameaux du même tronc.

Aussi, comprend-on qu’en Bosnie-Herzégovine, tout comme en Croatie-Slavonie, les trop zélés apôtres de l’Union des Églises soient plutôt suspects au gouvernement austro-hongrois. Loin