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règne du sultan calife, n’aurait pu s’accomplir en des siècles, commence à s’ébaucher, sous la domination d’une puissance européenne. Cela seul mériterait d’attirer sur les mosquées de Bosnie l’attention des philosophes et des politiques. Le grand problème de l’adaptation des musulmans à la vie occidentale et à la civilisation moderne se présente, en Bosnie-Herzégovine, sous un aspect plus favorable que dans la plupart des autres régions de l’Orient.

Le gouvernement autrichien, il faut le dire à son honneur, s’est appliqué à préparer cette évolution, et il y apporte beaucoup de tact et d’habileté, sentant qu’en pareille matière brusquer les événemens et violenter les mœurs serait tout compromettre. À cet égard, la comparaison entre la Bosnie-Herzégovine et nos possessions du Nord de l’Afrique est, pour nous, Français, à la fois instructive et attristante.

Il est vrai qu’en Bosnie-Herzégovine, les musulmans ne forment point la majorité de la population ; cela seul les rend moins imperméables aux influences du dehors. Avant l’occupation autrichienne, ils constituaient près de 40 pour 100 de la population totale ; en 1895, ils ne comptaient plus que pour 35 pour 100 ; aujourd’hui, ils ne forment peut-être plus que le tiers des habitans. Ce n’est pas, comme on le répète souvent, que l’élément musulman s’affaiblisse, chaque année, au contact du chrétien affranchi, et que l’Islam tende peu à peu à disparaître de la terre européenne. Bien qu’en Bosnie, comme ailleurs, les plus fervens ou les plus fanatiques des musulmans aient quitté le pays, après l’occupation, pour se replier sur le « Dahr et Islam, » sur les contrées restées soumises au calife, l’émigration islamique n’y a pas pris les mêmes proportions qu’en mainte autre contrée, en Bulgarie, par exemple. C’est un fait tout à l’honneur de l’administration austro-hongroise et dont elle a le droit de se féliciter, alors même que, selon les insinuations de ses adversaires, l’émigration serait en réalité plus considérable que ne l’indiquent les statistiques officielles.

La Bosnie paraît bien devoir échapper à cette élimination graduelle des sectateurs de l’Islam que l’observateur a constatée dans la plupart des pays où le sultan a perdu la souveraineté, en Grèce, en Serbie, en Thessalie, et qui semble se reproduire, aujourd’hui, sous nos yeux, en Crète. Loin de diminuer en nombre chaque année, les musulmans de Bosnie seraient au contraire,