Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soutenue par le pouvoir central, n’est-ce pas, partout, en pareil cas, la première condition du succès ? On se demande, non sans tristesse, ce que nous aurions pu faire, nous aussi, en Algérie, en Indo-Chine et dans nos diverses colonies, avec la même unité de direction et le même esprit de suite. Il n’y a donc pas à s’étonner des résultats acquis en une vingtaine d’années par l’administration de la Bosnie-Herzégovine. Amis et adversaires de l’Autriche-Hongrie sont contraints de lui rendre justice, et l’on comprend que le gouvernement bosniaque aime à faire voir son œuvre aux étrangers. Tout compte fait, il semble avoir le droit d’en être fier. On peut différer d’opinion sur les titres de l’Autriche-Hongrie à demeurer en Bosnie ; on ne saurait nier qu’elle y ait accompli, à son honneur, une tâche malaisée.

Pour en apprécier tout le mérite, il n’y a, comme nous l’avons fait, qu’à passer de Bosnie en Albanie et de Sarajévo ou de Mostar à Scutari. Ce qu’était la Bosnie avant l’arrivée de l’Autriche, la Haute-Albanie et Scutari peuvent en donner quelque idée, bien que, entre les Bosniaques et les Albanais, il faille faire la part de certaines différences de mœurs et de tempérament[1]. Tandis que, en Albanie, un Européenne peut guère s’écarter sans péril de Scutari ; qu’à Scutari même, un chrétien n’ose pas toujours s’aventurer dans le quartier musulman ; qu’aux portes de la ville, on assassine, chaque semaine, impunément, et que pour punir un meurtrier, un Albanais ne peut compter que sur son fusil et sur les vendettas de clans ; en Bosnie, au contraire, la justice a appris à ne pas marcher d’un pied boiteux. Le voyageur n’a pas besoin de s’embarrasser d’armes encombrantes, il se sent partout en sécurité, jusqu’au sommet du Trébénik et des montagnes désertes, jusqu’au fond des grandes forêts de hêtres ou de sapins de la Bielovitsa.

Est-ce à dire que le gouvernement et l’administration de la Bosnie aient réussi à satisfaire tous leurs administrés et qu’on n’entende nulle part de plainte ou de critique ? Non sans doute. Une pareille œuvre a forcément ses lacunes et ses imperfections, et il y a, en tout pays, des mécontens. Le gouvernement bosniaque est avant tout soucieux de maintenir la tranquillité publique ; il se peut qu’il ait eu parfois quelques brutalités, bien que ses procédés habituels fassent plutôt songer à la main de

  1. Sur la « Haute-Albanie », je me permettrai de renvoyer le lecteur au très intéressant ouvrage de M. Grand, notre ancien consul à Scutari.