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en parle froidement, et, tout en louant beaucoup la sagesse et les vertus d’Helvidius Priscus, il prête à son adversaire un discours fort raisonnable, où il lui fait dire notamment : « qu’il faut se rappeler toujours dans quel siècle et sous quel gouvernement on vit, et que, quant à lui, s’il admire le passé, il s’accommode du présent. »

S’accommoder à son temps, garder le gouvernement qu’on a, et, même si l’on regrette le passé, se résigner au présent, c’était, on s’en souvient, la conclusion de son premier ouvrage ; c’est celle aussi des derniers et, d’un bout de sa vie à l’autre, il n’a pas changé. La seule différence, c’est qu’au début, dans le Dialogue des orateurs, sa résignation avait quelque chose de vif et d’aisé, plus d’entrain et de belle humeur ; avec le temps, elle est devenue plus morose. Les épreuves qu’il a traversées, la pratique des hommes, l’expérience des choses l’ont rendu moins confiant et plus triste, mais elles l’ont confirmé aussi dans l’idée qu’il ne faut pas être trop exigeant et courir après les perfections chimériques et les gouvernemens accomplis. Celui auquel le monde obéit en ce moment est loin d’être sans défauts, mais il a du moins cet avantage de répondre aux nécessités présentes c’est une raison de s’en contenter. Tacite l’a dit formellement à deux reprises, dans des circonstances différentes. À la vérité, la première fois, il fait parler un de ses personnages, et ce personnage est un prince, mais il semble bien prendre à son compte les paroles qu’il lui prête. Il fait dire à Galba, quand il adopte Pison, qu’il aurait bien voulu rétablir la république, mais « que ce corps immense de l’Empire ne pouvait se tenir debout et en équilibre sans une main qui le dirigeât. » Rien n’était plus vrai l’étendue de la domination romaine, la diversité des peuples dont elle se composait, la poussée des barbares sur les frontières, rendaient nécessaire l’unité du commandement. Dans l’autre passage, il parle en son nom. Au début des Annales, en résumant le règne d’Auguste, il rappelle « que c’est dans l’intérêt de la paix publique qu’on a été amené à concentrer l’autorité dans la main d’un homme, » et il n’ajoute pas qu’on ait eu tort de le faire ; il accepte donc la monarchie comme Auguste l’a faite, ou, si l’on veut[1], il s’y résigne. Ce n’est point un gouvernement idéal, un de ceux dont les philosophes nous font des

  1. Tacitus ist Monarchist, aber aus Noth, man könnte sagen aus Verzweflung. Mommsen. Acad. de Berlin, 1886.