Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours préoccupé de ne rien laisser ignorer à son amie de ce qu’il voit et de ce qu’il entend, reprend une lettre qu’il a commencée le matin, au saut du lit, et y ajoute ce qui suit :

« Je reviens du déjeuner. Hier, j’étais en uniforme, en grand uniforme. J’y avais fait mettre Mackau, lord Cowley, lord Aberdeen, lord Liverpool. Le Roi et les princes et tous les autres sont venus dîner en frac. Et le Roi m’a dit, après dîner, que la Reine l’aimait mieux. Pour la commodité du prince Albert, je présume. Ils ont tort. Quand on ne veut plus se gêner en haut, il ne faut pas s’étonner qu’on ne se gêne plus en bas.

« Hier, à dîner, à côté de lady Canning, moins jolie que je ne l’avais laissée ; des sourcils trop noirs et qui se rejoignent. Ce matin, à déjeuner, lady Cowley. Elle m’a dit qu’elle allait vous écrire pour vous dire ce qu’on (moi) ne vous disait pas, les toilettes, les bêtises. Est-ce que je ne vous en ai pas dit ? Elle m’a parlé de vous avec un intérêt assez vrai et un vrai respect. La Reine la traite bien. Elle me paraît très contente.

« Les Anglais qui entourent la Reine se préoccupent, en ce moment même, à ce qu’on vient de me dire, du lieu, de la manière dont se feront aujourd’hui, pour elle et pour eux, les prières. Le lieu, ils n’en manqueront pas ; on arrangera une salle du château. Mais la manière, je ne sais ce qu’elle sera, si la Reine n’a pas amené de chapelain. Je suis ici, je crois, le seul protestant, et point chapelain.

« Je vais causer avec lord Aberdeen à une heure, et il ira chez le Roi à deux. Vos préceptes sont excellens et je les mettrai en pratique. Demain, pendant la grande promenade de la forêt, je m’arrangerai pour l’avoir près de moi et lui vider mon sac. Je le trouve fort enclin à comprendre que le prince de Metternich ne veut plus avoir d’affaire et que tout le monde ne peut pas être aussi fatigué que lui.

« Il y a deux mois que la Reine était décidée à ce voyage et en a parlé à lord Aberdeen et à sir Robert Peel, qui l’ont fort approuvée, en lui demandant de n’en point parler jusqu’après la clôture du Parlement. Voilà leur dire. Ils ajoutent que l’opposition, Palmerston, surtout, y était contraire, et eût travaillé à le faire échouer, si on eût parlé. »

Dans la soirée, il complète ces détails :

« Un mot, puisque j’ai une lettre de lady Cowley à vous envoyer, un seul, car je suis très fatigué et je meurs de sommeil.