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tribus nomades, je venais de repousser l’occasion unique de voir tout cela… Peut-être accordais-je aussi un petit regret au beau cheval noir, que j’aurais eu plaisir à ramener dans mon pays, en souvenir du donateur.

On levait, l’ancre. Alors une barque, qui se hâtait venant du rivage, à la dernière minute m’apporta de la part du sultan deux précieux cadeaux : un poignard à fourreau d’argent, qui avait été le sien, et un sabre courbe, à poignée d’or.


Au crépuscule, disparut l’Arabie.

À mesure que nous nous avancions vers le large, l’air perdait sa légèreté impondérable et sa transparence ; il s’épaississait de vapeur d’eau, et bientôt la lune se leva funèbre, énorme et confuse, parmi des cernes jaunes. Nous retrouvâmes la mauvaise et lourde humidité chaude. Et l’horizon trouble, les grisailles de la mer sans contours, firent plus étrangement éclatantes par contraste ces images de la journée qui restaient encore toutes fraîches dans notre mémoire.

L’Arabie et le désert saharien sont vraiment les régions de la grande splendeur terrestre ; nulle part au monde, il ne se joue des fantasmagories de rayons comme là, sur le silence du sable et des pierres…

Cette ville, à peine entrevue aujourd’hui, laissait dans mes yeux comme une traînée de couleur et de lumière, tandis que je m’éloignais maintenant sous l’épaisseur du ciel sans étoiles. — Je repensais aussi à l’accueil du, sultan, qui était pour attester combien, par tradition, par souvenir, on aime encore la France, dans ce pays de Mascate où nos navires, hélas ! ne vont plus. — Et cet accueil, j’ai voulu le faire connaître.

PIERRE LOTI