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était encore une enfant. Le mariage ne fut certainement pas consommé immédiatement.

De cette impériale union un souvenir littéraire cependant nous est resté ! « Les vers du chartophilax[1] Nikolaos Irenikos, écrit M. K. Krumbacher dans son admirable Histoire de la littérature byzantine, vers au nombre de cent et plus, composés par ce haut fonctionnaire à l’occasion du mariage du basileus Jean Dukas Vatatzès avec la fille de l’empereur Frédéric, constituent par leur facture une exception remarquable dans la longue et monotone série des poèmes de circonstance de l’époque byzantine. » Ces vers bizarres, qui, du reste, par leur signification ne se distinguent guère de la banalité ordinaire de ce genre de production, se trouvent conservés dans un manuscrit de la Bibliothèque Laurentienne à Florence, provenant probablement de Nicée. Formées chacune de quatre doubles vers politiques, ces piécettes sont désignées dans le titre du document original par le simple nom de Tetrasticha.

Le jeune âge de la petite princesse avait été cause, je l’ai dit, que solen père lui donna pour l’accompagner dans son voyage une suite féminine nombreuse. Parmi ces dames italiennes, fuie seule est désignée nominativement par les chroniqueurs grecs avec le titre de « gouvernante. » C’est « la Marchesina » dont j’ai déjà parlé. C’était bien probablement quelque marquise italienne dont les Grecs confondirent le titre avec le nom[2].

La Marchesina, au dire de tous les chroniqueurs, était d’une grande beauté. Son regard provocant brillait d’un éclat sans pareil. Presque incontinent cette aventure arriva que « Vatace, » bien que déjà quinquagénaire, reçut le coup de foudre à la vue de l’Italienne capiteuse. Oubliant aussitôt sa trop jeune et niaise petite épouse, il ne songea plus qu’à la Marchesina qui devint de suite sa maîtresse. Le scandale fut affreux, au grand désespoir de tous les gens de bien. Le vieil empereur amoureux, « rendu comme fou, dit Nicéphore Grégoras, par les philtres et les enchantemens de l’Italienne, » négligea entièrement la basilissa occidentale. Il en arriva à ce point de démence qu’il accorda à la Marquise tout ce que celle-ci lui demandait. La favorite eut droit aux brodequins de pourpre, à tous les insignes

  1. Directeur des Archives impériales.
  2. D’après les écrits de Nicéphore Blemmydès dont je parlerai plus loin, il semblerait que la Marchesina se soit appelée en réalité « Fricca ou « Frigga ».