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le ridicule abus du rouge dont les femmes qu’il rencontre sur les promenades publiques enduisent leur visage. Marie Leczynska, avant son mariage, ne connaissait pour fard que l’eau pure. Un demi-siècle plus tard, l’empereur Joseph II vient voir à Versailles sa sœur Marie-Antoinette ; il est stupéfait de la profusion de rouge qu’elle s’applique et ne peut s’habituer à cette exagération, dit Mme Campan. Un jour que sa sœur, faisant sa toilette devant lui, prodigue le fard, il lui conseille ironiquement d’en ajouter encore un peu sous les yeux, et, désignant une dame du palais outrageusement maquillée, l’empereur s’écrie « En furie comme Madame ! » De pareils traits n’étaient pas faits pour rendre populaire à la cour le monarque autrichien dont la visite contribua à la fois à discréditer la reine et faire détester sa famille.

Lorsqu’elles prenaient le deuil, les dames quittaient le rouge pour un temps ; il était même de bon ton d’avoir une figure non soignée, une coiffure sordide, de sorte que le deuil transformait en quelques jours ces jolies poupées en créatures hideuses. On en vint à se grimer comme des acteurs pour accentuer encore ce désordre. Enfin, de temps à autre, sous Louis XIV comme sous Louis XV, on voyait à la cour ou à la ville, quelquefois une jeune femme, plus souvent une dame ou demoiselle d’un âge mûr, cesser tout à coup de mettre du rouge : c’était signe qu’elle se faisait dévote, renonçait à toute coquetterie et se retirait du monde. Inutile, n’est-ce pas, de transcrire quelques-unes des plaisanteries que des événemens de ce genre inspiraient aux contemporains, ni de citer Mme de Sévigné, Gresset, Voltaire et bien d’autres. Les confesseurs étaient devenus plus tolérans.

— Est-il permis de mettre du rouge ? demandait une pénitente.

— Pourquoi donc ?

— Mais pour m’embellir.

— Mettez-en, madame, vous êtes assez laide pour que je vous y autorise.

Mais avant l’époque où Marie-Antoinette excitait les moqueries de son frère, une réaction s’était produite déjà. On avait constaté que l’usage prolongé du rouge abîmait le teint. Toutefois la disparition de la poudre put seule faire se résigner les grandes dames à la suppression de cet accessoire. Quant aux mouches, elles s’évanouirent à peu près à la même époque. Nous en avons