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peuplement prêtes à lui échapper, il s’attachait davantage à cette magnifique possession. Tandis qu’au début du siècle, il la considérait à peine comme une colonie, passant d’un extrême à l’autre, il voulut, à la fin du siècle, que la Reine prit le titre d’Impératrice des Indes. Aujourd’hui, la Grande-Bretagne n’est pas loin de considérer comme le chef-d’œuvre de l’esprit humain ce gouvernement pacifique de 250 millions d’hommes. Rien de si grand, dit-elle, ne s’est vu depuis l’empire romain. Mais Rome avait conquis le monde à sa langue, à ses mœurs, à ses idées ; la civilisation anglaise flotte sur l’Inde sans la pénétrer.

En 1830, la France entre en scène à son tour par la prise d’Alger. Il n’y a peut-être pas d’événement plus important dans l’histoire des races, depuis la prise de Grenade et la chute de Constantinople. Jusque-là, si l’on excepte les colonies espagnoles, émancipées depuis 1825, on ne rencontrait guère que des colons sans indigènes, comme dans l’Amérique du Nord et l’Australie, ou des indigènes sans colons, comme aux Indes. Dans notre Afrique française, après une conquête pénible, à travers mille obstacles et mille erreurs, mais avec une ténacité invincible, nous poursuivons une expérience nouvelle : dompter une population fière sans l’asservir, peupler sans refouler, installer des colons au milieu de la race la plus intraitable qui fut jamais, la même qui avait jadis subjugué l’Espagne, disputé le terrain pendant huit siècles, et qui, vaincue, mais toujours redoutable, avait interdit l’Afrique à ses vainqueurs. Et ce n’est pas seulement le tourbillon insaisissable des cavaliers de Jugurtha que nous avions en face de nous : c’était l’Islam dans ce qu’il a de plus farouche et de plus intransigeant, l’Islam des marchands et des prophètes, l’Islam qui méprise les beaux parleurs de l’Egypte et de la Perse, et qui ne se laisse point entamer, parce qu’il ne discute pas.

Certes, la puissance qui féconderait ce sol volcanique et durci, et qui apprivoiserait ces cœurs rebelles, pourrait se flatter qu’aucune race ne lui résisterait. Et comme, en matière de conquête morale, le nombre importe moins que la qualité, on peut dire que cette poignée de musulmans, campés sur le terrain de ses premières conquêtes, au nord du lac intérieur qui fut jadis romain, importait plus à la civilisation que tous les musulmans d’Asie.

L’expérience n’est pas terminée. Mais ce qui donne bon