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sa constance héroïque, la victoire échappe à Guillaume ; c’est tout au plus s’il peut, de loin en loin, vanter comme un succès une affaire indécise. Ses échecs, au contraire, sont aussi nombreux qu’éclatans ; et son ferme sang-froid, l’énergie qu’il déploie à dompter son âme violente, l’orgueil qui le provoque à n’avouer jamais ses défaites, semblent parfois prêts à fléchir devant ce malheur persistant. « Ce duc de Luxembourg, qui est en possession de me vaincre partout, vient encore de le faire à Nerwinde, » mandera-t-il avec amertume à son allié l’empereur d’Allemagne. Et qui ne sait l’exclamation qui lui vaudra de son rival la célèbre réplique : « Ne pourrai-je donc jamais battre ce méchant bossu-là ? — Bossu, comment le sait-il ? Il ne m’a jamais vu par derrière ! »

Le personnage qui va se trouver désormais mêlé d’une façon si étroite à toutes les phases de ce récit, de même que Luxembourg, naquit enfant posthume ; son père, Guillaume II de Nassau, stathouder de Hollande, avait quitté cette terre huit jours avant qu’il y fît son entrée, le 14 octobre 1650. Comme Luxembourg encore, il vint au monde chétif, souffreteux, n’ayant que le souffle, et fut sauvé par une mère admirable, Henriette-Marie Stuart, fille de Charles Ier d’Angleterre. Elle disputa victorieusement son enfance à la mort, anima son âme et sa chair de la merveilleuse énergie qui le fit triompher des pièges tendus par la nature. Guillaume lui dut plus encore, au témoignage de ses contemporains : « La princesse douairière d’Orange, écrit le chevalier Temple[1], était la femme du meilleur esprit et du plus grand sens que j’aie jamais connue ; et je ne doute pas que le prince n’ait tiré de cette mère vertueuse le germe de toutes les hautes qualités qu’il possède. » La mauvaise fortune fit le reste ; l’adversité précoce fut, pour l’enfant sans père, une bienfaisante et rude éducatrice. Pauvre, entouré d’ennemis, suspect, du fait de sa naissance, à ceux qui tenaient le pouvoir, il est, dès sa première jeunesse, placé sous le contrôle sévère de Jean de Witt, rival héréditaire des siens ; et, si l’influence maternelle domine secrètement dans son cœur, il lui faut pourtant à toute heure dissimuler ses sentimens, donner le change sur ses idées, ses désirs et ses ambitions, cacher à des yeux vigilans ses sympathies et, plus encore, ses haines.

  1. Mémoires. Édition Michaud et Poujoulat.