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nouvellement adoptées en France. Des cartes de géographie tapissent les murs. Dans les armoires vitrées, sont rangées les collections qui peuvent le mieux amuser les enfans, tout en leur suggérant des idées presque à leur insu : minéraux, papillons, photographies, herbier de la région, souvenirs de voyages au Caucase, enfin, la lanterne magique, excellent prétexte à de courtes conférences. C’est l’enseignement le plus personnel, le plus dégagé de routine. On n’apprend rien par cœur. L’élève doit, dans ses réponses, trouver des expressions justes, expliquer ce qu’il veut dire, ne rien réciter comme un perroquet. Lorsque, au bout des quatre premières années de fonctionnement, l’école reçut la visite des inspecteurs accompagnés du maréchal de la noblesse du district, ces messieurs furent frappés de surprise. Presque tous ces petits sauvages répondaient d’une manière satisfaisante. La pédagogue éminente qui dirige l’école demanda qu’ils fussent interrogés sur l’histoire et la géographie locale. Et ils se montrèrent si parfaitement renseignés, que les inspecteurs déclarèrent avoir appris beaucoup de choses sur la petite rivière qui arrose la contrée, sur les kourganes qui furent fouillés non loin de là, sur l’origine des villes les plus proches, etc.

N’est-ce pas l’art suprême de l’institutrice que d’intéresser ses élèves aux objets qui les entourent, de prêter une âme, pour ainsi dire, à tout ce qu’ils voyaient journellement jusque-là d’un œil indifférent, de fournir ainsi un aliment à leur pensée en leur apprenant que le coin de terre où ils sont nés, où ils doivent vivre, a des annales qui méritent d’être feuilletées ? La fierté du caractère, la vivacité de l’imagination y gagnent, et il n’y a plus qu’à élargir peu à peu le cercle pour que chez les mieux doués s’élaborent des idées générales. Ce fut ainsi, sans doute, que Chovtchenko devint poète. Le buste de ce génie petit-russien décore la grande classe auprès de celui de Gogol, plus universellement célèbre, et qui s’inspira, lui aussi, de la Petite-Russie, mais avec cette différence qu’il écrivait en russe, tandis que Chevtchenko se servait du dialecte. Il naquit serf et e bonne heure, sans avoir jamais vu de tableaux, manifesta des dispositions curieuses pour le dessin. Petit domestique dans la maison du seigneur, il regardait, et tout servait de prétexte à son développement. Ses maîtres l’emmenèrent à Pétersbourg. Là, comme il copiait, sur un chiffon de papier, l’une des statues du Jardin d’été, un peintre l’aborda, lui donna des conseils.