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alimenter d’une étincelle le foyer auquel se réchauffe et s’éclaire l’humanité.

Je comprends de mieux en mieux pour ma part tout le bien que fait et que fera encore, non pas seulement à Théodorofka, mais bien au-delà, cet essai de réforme sociale prudemment conduit depuis près de vingt ans. Les propriétaires des environs, tout en blâmant les tendances trop généreuses de leur voisine, se sont vus presque contraints d’améliorer la condition de leurs ouvriers, d’élever les salaires. Ses entreprises agricoles ont servi de modèle. À intervalles de plus en plus rapprochés, un homme, digne de ce nom, se dégage, sous son influence, de la horde à demi sauvage que forment encore les paysans russes. On sait qu’il suffit d’un petit groupe pour en entraîner beaucoup d’autres. Hors de la Russie même, quelqu’un peut-être, aux heures d’épreuve, tient ses yeux fixés sur le phare de salut qui brille à la fenêtre d’une petite maison perdue au milieu des neiges de la steppe. Derrière les doubles vitres, une lampe éclaire la veillée solitaire et laborieuse d’une femme délicate, pâlie par la vie trop rude dans un climat trop dur. Après avoir donné ses journées à tous ceux qui ont besoin d’elle, sans choix ni préférence, elle consacre une partie des nuits à un effort désintéressé de développement personnel, lisant tout ce qui peut lui permettre de perfectionner son œuvre. Et elle la perfectionnera par la science, mais d’abord par la confiance et par l’amour.


TH. BENTZON