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promesses et que la lie de chaque joie épuisée donne la soif d’autres joies, l’amour de l’amour avait fait, disait-on, à travers la diversité des expériences, l’unité de sa vie.

Sa mort parut d’abord délivrer de ces faiblesses éphémères ses mérites dignes d’un souvenir durable. Ils reçurent aussitôt un hommage public, et presque officiel, en un article que publia le Moniteur et qu’avait signé Népomucène Lemercier. Aujourd’hui, l’on ne connaît plus de cet écrivain que les défauts ; en 1820, on n’avait d’yeux que pour ses qualités : ce qui s’appelle maintenant la lourdeur de son style s’appelait alors le poids de ses jugemens. A cet âge de disgrâce où la tradition du XVIIIe siècle était épuisée, où la fécondité du XIXe ne se parait encore que de Chateaubriand, Lemercier, honnête homme, avec du goût pour la pensée noble, quelques visions du sublime, et qui gâtait ses idées en les exprimant, était le prince des médiocres, comme Chapelain durant la jeunesse de Corneille. Chef d’école, il consacrait en ces termes le talent de la disparue :


Également familière avec les belles-lettres françaises et latines, elle avait tout l’acquis d’un homme ; elle resta toujours femme et l’une des plus aimables de toutes. Sa conversation éclatait en traits piquans, imprévus et originaux. Elle résumait toute l’éloquence de Mme de Staël en quelques mots perçans. On a lu d’elle un roman anonyme qui, sans remporter un succès d’ostentation, attacha parce qu’elle l’écrivit d’une plume sincère et passionnée. Elle a composé des Mémoires sur nos temps et une collection de portraits sur nos contemporains les plus distingués par leur rang et par leurs lumières, qui réussirent mieux, étant plus vivement tracés et plus sincères encore[1].


Le public avait appris comme une bonne nouvelle que cette brillante intelligence, non contente de répandre en une compagnie de privilégiés l’éclat sans lendemain de sa pensée parlée, avait songé à survivre par sa pensée écrite. Il espéra, grâce à la publication de ces œuvres, connaître à son tour la séductrice dont F. Barrière, huit ans après Lemercier, disait : « L’esprit, l’instruction, la grâce et tous les attraits réunis plaçaient la duchesse de Fleury au premier rang parmi les femmes de son temps[2]. » Mais, bien qu’une mode de curiosité pour la fin du XVIIIe siècle et le commencement du XIXe suscitât partout les fureteurs d’inédit, les pages annoncées demeurèrent

  1. Moniteur universel, 25 janvier 1820.
  2. Barrière, Tableaux de genre et d’histoire, in-8o, p. 231. Paris, Paulhan, 1828.