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Les lettres de celui-ci furent connues du public en 1864. L’une, datée de Paris, en 1794, quand Lauzun venait de mourir et la duchesse de Fleury d’être arrêtée, se scandalise que « notre jeune étourdie, notre gentille petite malicieuse, » ne fît que « chanter toute la journée. Puisqu’elle chantait au lieu de sangloter, je suppose qu’elle était fatiguée de son Tircis et qu’elle est bien aise d’en être débarrassée. » Supposer à la fois en une personne le désordre et l’insensibilité, c’est rendre plus inexcusable chacun des deux vices : le glacial ami de Mme du Deffant semblait mal qualifié pour cette rigueur de vertu. Est-ce bien de la vertu ? Elle n’a pas cet accent, elle est triste du mal qu’elle constate, elle n’en triomphe pas. Cet homme était une coquette. Il s’était mis à visiter la société de l’Europe comme ses compatriotes en visitent aujourd’hui les paysages. Mais lui, voyageait pour être connu en plus de contrées, et il tenait par-dessus tout à passer pour spirituel à Paris. L’attention qu’on prête à Aimée de Fleury lui semble volée à Horace Walpole. De là, peut-être, sa malveillance. C’est une antipathie de nature : c’est une rivalité entre la chaleur sans rayons de sa houille anglaise, et la flamme claire, gaie, pétillante des sarmens français.

Mais, si les insinuations d’un jaloux sont suspectes, comment récuser les aveux de l’accusée ? Ces aveux sont venus de nos jours. Les archives diplomatiques de l’Empire n’occupaient pas tellement le chancelier Lobanof qu’il ne trouvât du temps pour se faire des archives moins graves avec les correspondances où l’aristocratie du XVIIIe siècle, à la veille de mourir, avait si bien écrit sa joie de vivre. Admis à puiser dans cette collection, M. Paul Lacroix publia, en 1884, une partie de ces lettres[1], quelques-unes d’Aimée. Elles ne laissent pas de doute qu’elle n’eût rien refusé à Lauzun, et, les aveux allant plus loin que les soupçons, elles attestent d’égales bontés pour un jeune lord, dont nul encore n’avait parlé. L’on a aussi, en ces dernières années, découvert d’autres billets d’elle à Mailla Garat, et ceux-là, tant s’y dévoile l’indécence des caresses, doivent demeurer dans le musée secret des curieux[2].

A chercher ses livres, on n’avait trouvé que ses amans. Les

  1. Lettres de la marquise de Coigny et de quelques autres personnes appartenant à la société française de la fin du XVIIIe siècle, publiées sur les autographes avec notes et notices explicatives, par Paul Lacroix. Jouault et Sigaux, 1884.
  2. Ces quatre lettres à Mailla Garat sont dans la collection de M. Gabriel Hanotaux.