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lui devinrent non seulement connus, mais chers, mais compagnons. Savoir le latin n’était pas pour les jeunes filles de son rang une rareté, mais elle le posséda jusqu’à la familiarité avec les maîtres de cette langue. Son temps lui apprit beaucoup de ce qu’il savait, il n’avait pu l’instruire de ce qu’il ignorait, et ce qu’il ignorait était le devoir.

Cette aristocratie, destituée de ses fonctions utiles, oisive et riche, ne vivait que pour le plaisir. La foi, incommode aux passions et humiliante pour l’orgueil de l’esprit, était dédaignée, et, échappées à ce frein, les mœurs étaient libertines comme les pensées. La vertu de Louis XVI fut le premier ridicule qui diminua à la Cour la majesté du souverain. Dès l’enfance, Aimée, tout près d’elle, trouva cette école d’immoralité ; la pudeur des regards et la sainteté de l’ignorance furent blessées en elle par des visions précoces du mal. A cinq ans, elle perdait sa mère : la femme distinguée qui éleva l’enfant était, comme on disait alors, « l’amie » de son père. Un autre titre lui est donné dans la page où Aimée parle de Vigny. « Voilà les petits fossés que je trouvais si grands et le saule que mon père a planté au pied de la tour de sa maîtresse. » Si aristocrate soit-elle d’esprit et de naissance, comment la maîtresse du père apprendrait-elle à la fille la supériorité du devoir sur l’attrait ? Une telle éducation était faite pour enseigner tout ce qui pare la vie, rien de ce qui la dirige.

Il est vrai, l’éducation d’une Mlle n’est qu’une préface. Quand elle semble achevée, un dernier maître succède, le plus persuasif, assez puissant pour abolir l’œuvre antérieure à lui et changer l’âme en prenant le cœur : c’est le mari. S’il est aimé, un mari peut faire aimer à sa femme tout ce qu’il aime, y compris la vertu. Mais il s’agissait bien de cela dans les alliances d’alors ! L’époux et l’épouse étaient les personnages les moins consultés dans l’affaire menée par leurs familles, et, pourvu que le resté convînt, il allait de soi qu’ils se convinssent. Pour les Coigny, une alliance avec un Fleury, neveu du cardinal et qui serait duc, était un beau parti. Pouvait-on le prendre trop vite ? Ainsi Aimée épousa en 1784 un mari d’un mois plus jeune qu’elle et qui n’avait pas quinze ans ! Dans ce ménage de poupée, c’est la fillette qui est l’expérience et la raison. Avec un éveil hâtif de ses sens, la voilà du monde, elle devient un atome de cette brillante poussière qui danse dans un rayon de soleil.

Elle était à l’âge où l’on s’amuse de tout ; elle joua à la vie.