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sans réponse les lettres qui les réclament. Telle est, après quatre ans, la laide fin de cette passion : commencée en folio, elle s’achève on égoïsme. Cet égoïsme a mis à nu chez la femme l’hypocrisie, chez l’homme la brutalité. Ils se sont, d’un dernier regard, méprisés l’un et l’autre. Ils n’ont plus rien à se dire.

Lauzun, d’ailleurs, allait éprouver bientôt qu’on ne rompt pas avec la démagogie aussi aisément qu’avec les duchesses. Arrêté, il n’obtint même pas d’être prisonnier dans sa maison de Montrouge, qu’il avait refusée à une amie. Et, le 1er janvier 1794, il mourait à quarante-six ans, avec cette lassitude de vivre que les heureux contre le devoir trouvent au fond de leurs plaisirs.


IV

Si la duchesse avait voulu deux amans pour mieux s’assurer le dévouement de l’amour, l’expérience eût été décisive. Tous deux l’avaient abandonnée au premier péril, elle restait seule. En des jours où les protecteurs devenaient si vite des suspects, elle commença à croire, elle aussi, que sa solitude était sa sûreté. Maintenant il n’y avait plus que son mari à la compromettre : contre l’émigré, elle invoqua et obtint le divorce. Malgré ce gage donné à la Révolution, le 4 mars 1794, elle était arrêtée, conduite à Saint-Lazare. Elle n’avait gagné à son divorce que d’être écrouée sous le nom de Franquetot, au lieu de l’être sous le nom de Fleury.

Chénier, arrêté dix jours après elle, fut quatre mois son compagnon de captivité. Le chant de pitié que la prisonnière inspira au poète fut-il un aveu d’amour ? En eux, comme en tant d’autres, la menace de la mort prochaine souleva-t-elle une de ces passions soudaines et violentes comme une dernière révolte de vie ? C’était, au contraire, une ressemblance de nature, qui, s’ils se fussent rencontrés plus tôt, dans les derniers des jours voluptueux et calmes, aurait préparé l’entente de leurs cœurs. Chénier était un héritier de l’art antique et de la morale païenne. Belles comme le marbre de Paros, ses poésies célébraient, comme les statues taillées dans cette blancheur sans tache, la perfection impure des corps faits pour le désir. Et de même que, dans ses vers, la beauté achevée semblait une pudeur et étendait un voile d’innocence sur la volupté de ses inspirations, de même la jeune femme cachait ses audaces sous la grâce presque