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hypothèque pour son faux ménage, se fait la servante de ce petit compagnon. Elle n’a besoin que de fidélité. Son illogisme veut une vie régulière dans le désordre ; elle fait, comme tant d’autres, ce rêve dont tant d’autres, comme elle, ont été réveillées si rudement par l’inconstance masculine. Elle a trouvé bon que Mailla rompît pour elle d’autres liens, Mailla s’en tient aux chaînes légères. Il la trompe, ou elle le croit. Elle se plaint, défend ses droits avec jalousie, il défend sa liberté avec emportement, elle s’obstine. « Et si je veux être battue ! » disait la Martine de Molière. Aimée le fut, dit-on. Quel sort pour une duchesse qui avait eu son tabouret à Versailles, toutes les délicatesses du luxe à Paris, et partout les hommages des maîtres en l’art de plaire !

Et qui la retenait en ce triste esclavage ? Les sens. Le rustre avait su les exciter et les satisfaire. L’amour qu’elle avait commencé avec le moins de vices, avec le plus d’idéal, est tombé là ! Il ne s’agit plus d’être l’associée d’une grande cause, la consolatrice d’un grand homme : qu’elles sont vite passées, l’union des âmes et l’alliance des enthousiasmes ! Dans les lettres d’Aimée à Mailla Garat, il reste seulement, avec le souci de trouver les ressources nécessaires à la durée de cette vie commune, les ardeurs lascives qui désormais la remplissaient. Cette vie dura six ans, et, pour que l’humiliation fût complète, c’est le rustre qui se lassa le premier. C’est elle qui s’obstina à le retenir ; quand il fut parti, à le reprendre ; quand il eut disparu, à le pleurer.

Elle se promit alors de ne plus recommencer avec personne la triste expérience, et résolut de tromper par l’activité de son intelligence la viduité de son cœur.

L’Empire était alors dans sa jeunesse et dans sa gloire. Napoléon n’avait laissé d’asile à la liberté que les œuvres d’imagination, et les lettres elles-mêmes, sans influence sur la politique, en subissaient, comme tous les arts, le prestige. Elle avait remis en honneur Sparte, Rome, l’Egypte. De l’antiquité, l’on avait ressuscité les vertus civiques, dépassé les modèles militaires, on la voulait égaler par les gloires de la pensée. Les écrivains d’ailleurs, plus encore que les sénateurs et les tribuns, semblaient vieux et non antiques. C’est surtout à l’imagination que le souci d’imiter est redoutable. Il enlevait toute spontanéité, tout naturel à leur effort pour donner aux pensées de leur temps et de leur race un air romain ou grec. Par bonheur, ces