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tromperait si l’on la jugeait sur ces fâcheux modèles, et il faut, pour ne lui point faire tort, recueillir précieusement et mettre en évidence les sonnets où Belli l’a montrée telle qu’elle est en général, et là où il convient qu’elle soit, — dans son ménage.

Elle surveille sa fille et lui donne de bons conseils. Ils sont naïfs souvent, et parfois un peu brusques : « Tu vas baiser tout de suite la miche que tu viens de laisser tomber. Tu ne sais donc pas que le pain, c’est la face du Seigneur ?… Quelle bête raison : « Il brûle ! » Qu’il te brûle le cœur ! Quand tu seras en enfer, crapaud, tu goûteras une autre chaleur. Et comment est-ce que tu la mets, cette miche ? sens dessus dessous ? Qu’on le coupe les mains ! Béni le fouet, et qui le manie ! Tourne-la, petite sorcière, du côté bombé, et retiens bien qu’avec le derrière en l’air, le pain fait pleurer Jésus et la Madone. » C’est là le ton criard des admonestations domestiques, chez les petites gens, où les moindres détails provoquent le plus grand bruit. Il n’empêche pas d’être bonne et courageuse mère de famille. A Rome comme ailleurs, la femme prêche et enseigne à sa fille la propreté, la modestie, l’économie, l’activité, et la peur salutaire des jeunes gens. Elle débarbouille les enfans et les envoie à l’école. Elle soigne son mari quand il est malade ; elle le supporte quand il est méchant. Elle prie la Madone, elle récite le rosaire, elle a confiance en Dieu, et surtout dans les saints, qui sont plus proches d’elle. Parfois, des émotions douloureuses arrachent son Ame à la monotonie un peu terne de cette existence paisible. Le malheur la visite, et c’est sous ses coups ou sous ses menaces qu’elle déploie la sensibilité ardente de ses affections et les trésors de sa résignation vaillante. C’est le soir. Le mari revient, après une querelle au cabaret, à l’osteria, fou de colère, et veut repartir. Sa bannie le retient : « Comment ! tu veux sortir encore ! Dans la fureur où tu es ? Tu as quelque chose en tête. Oh ! Dieu !… Qu’est-ce que tu as sous ton habit ? Qu’est-ce que c’est ? Sainte Vierge ! tu as pris ton couteau ! Ah ! Filippo, ne me quitte pas comme cela ! Filippo, par pitié, mon bon Filippo, pose ton arme, donne-moi le couteau, pour l’amour de Jésus au Saint-Sacrement ! Tu ne sortiras pas d’ici ! Non, je ne suis pas Gertruda, si tu sors. Tue-moi si tu veux, mets-moi en pièces, mais je ne te laisse pas sortir. Je suis décidée. Allons, tu ne voudras pus que ce pauvre petit, ange, qui dort si gentiment, quand il ouvrira ses yeux ne retrouve plus son père auprès de