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retourner à Vienne. Si la paix qu’on est encore décidé à offrir à Napoléon se fait, tout est perdu… Il faut que, lorsque le Sénat s’assemblera, il nous tire d’affaire… Voici ce que, par son droit naturel de conservateur des lois fondamentales, il peut faire. Qu’un de ses membres monte à la tribune pour dénoncer Napoléon en disant qu’ayant été élu Empereur aux conditions qu’il n’a pas tenues, le contrat est annulé et il est déclaré perturbateur du repos public et mis hors la loi. Que le Sénat, ensuite, se constitue en assemblée nationale ; qu’il envoie aux députés l’ordre de s’assembler et de délibérer, et, reconnaissant leur mandat comme suffisant, qu’ils déclarent la France monarchie constitutionnelle avec trois ou quatre lois bien faites qui indiquent clairement les libertés du peuple et prendront le nom de charte ou de lois constitutionnelles, comme on voudra. Alors, qu’il appelle le frère de Louis XVII sur le trône et qu’il fasse adhérer le peuple à ce vœu en faisant ouvrir des registres où chaque citoyen sera invité à écrire son nom ; qu’il fasse un appel aux armées et qu’il envoie une députation aux princes coalisés pour leur faire part de cet événement en les invitant à repasser le Rhin pour commencer là les préliminaires de la paix. Voyez Garat, ajouta-t-il, il y a là de quoi remuer une âme patriotique et faire les plus belles phrases du monde sans danger, c’est là ce qu’il faut répéter souvent. Cette persuasion peut encore faire des héros. Qu’on voie Lambrecht, Lenpir, Laroche, je ne sais qui, ces patriarches de révolution qui savaient si bien démolir les trônes avec les mots de patrie, tyrannie, liberté. S’ils les prononcent, nous sommes sauvés. Je vais faire, de mon côté, ce que je pourrai pour leur faire sentir qu’en s’y prenant ainsi, ils passent un véritable contrat entre le monarque et le peuple.


Par la collaboration de nos malheurs éclatans et de son activité invisible, le plan qu’il traçait à la fin de février devenait de l’histoire au commencement d’avril.


X

Que la parole ardente d’une femme à un politique incertain encore ait, comme le premier souffle du vent sur la voile pendante, vaincu l’inertie et orienté le scepticisme de Talleyrand, et par suite décidé de la Restauration, telle est la plus nouvelle des anecdotes racontées par ces Souvenirs. C’est afin d’établir ce fait qu’ils ont été composés, et c’est la précision du détail qui donne un intérêt à leur témoignage. L’origine minuscule qu’ils attribuent à un grand événement n’est pas un motif de les suspecter. Car, s’il y a une logique des affaires humaines, si la philosophie de l’histoire découvre leurs enchaînemens et admire dans l’ensemble des faits leur suite, raisonnable, une exacte proportion n’existe pas entre chacune des circonstances qui se