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public. Et parce que l’intellect formé par la Révolution ne consentait pas cette épreuve de la pensée par le temps, il avait perdu, avec le respect du passé, l’intelligence des forces faites pour subordonner les hommes à des intérêts collectifs et durables. Devenu au contraire une puissance d’isolement, il autorisait chaque homme à assigner à son tribunal solitaire et hâtif toutes les institutions, par suite élevait l’homme au-dessus de la société devenue sa justiciable, par suite ouvrant par l’orgueil accès à l’égoïsme, excusait chacun non seulement de préférer sa caste à la nation, mais de se préférer à sa caste et d’employer sa raison individuelle à ses intérêts particuliers. Et si c’était sauvegarder l’influence de « la bourgeoisie libérale », ce libéralisme, au lieu d’accroître dans la nation les énergies publiques et d’y servir les intérêts communs, devait aboutir seulement à défendre les opinions, les actes, les supériorités même iniques, les appétits même désordonnés de chaque homme, contre les gênes de toute discipline sociale. Voilà ce que ne prévit pas le grand habile.

Lui-même, l’arbitre le plus préparé par la leçon de ses épreuves, par l’intérêt de sa fonction, par les conseils d’un esprit réfléchi, à vouloir un ordre durable, Louis XVIII comprend-il que si la liberté est nécessaire et manque, ce n’est pas seulement aux deux Chambres assemblées dans la capitale pour représenter et servir les intérêts unitaires de l’Etat, mais aussi aux forces naturellement disséminées comme les intérêts de la société, et partout conservatrices de la vie locale, professionnelle, intellectuelle, morale ? Au lieu de renouveler ces puissances pour être porté par des forces, il ne s’occupe que d’accroître aux dépens d’elles son propre pouvoir, et, où il fallait rétablir l’équilibre de la monarchie, ne cherche qu’à accroître la prépondérance de la royauté. Il écarte par orgueil de principe les habiletés de Talleyrand : il refuse la consécration d’un plébiscite qui semblerait reconnaître une souveraineté au peuple ; il tient à faire de la charte un don au lieu d’un traité. De peur d’amoindrir son droit historique, il omet de cacher sous la ratification nationale la part de l’étranger au relèvement du trône ; il crée, dès 1814, sur l’étendue de la prérogative royale une incertitude qui deviendra un conflit en 1830. De l’Empire il garde comme légitimes les nouveautés que le génie de « l’usurpateur » a ajoutées à l’ancien despotisme. Dès lors, pour redevenir absolu, il suffit que le