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souverain domine l’unique puissance opposée à la sienne, la puissance parlementaire : par le droit de nommer les pairs, il s’assure la Chambre Haute, par les candidatures de fonctionnaires, il acquiert influence dans la Chambre des députés. Comme les privilégiés n’ont songé qu’aux privilégiés, le prince n’a songé qu’au prince.

Aussi l’histoire de la monarchie restaurée va se réduire à des querelles de prééminence entre le prince et l’oligarchie parlementaire. Celle-ci travaille au profit d’elle-même avec le double égoïsme de la fortune et de l’intelligence. L’organisation de l’armée, de l’enseignement, du travail, des impôts, tout est combiné pour l’avantage d’une minorité, tout roule sur une prodigieuse indifférence pour les besoins moraux et matériels de la multitude. Et comme aucune autonomie locale, aucune organisation corporative, aucune forme de groupement ne mêlent cette multitude à ces privilégiés, ne maintiennent quelque solidarité d’intérêts dans la différence des conditions, n’adoucissent l’antagonisme des classes par la familiarité entre les personnes, parlementaires et nation s’ignorent, et, pas plus qu’elle n’a d’influence sur leurs actes, ils n’ont d’influence sur ses pensées. Etrangers à elle, flottant sur elle, et rassurés, ils ont à leur service les mêmes chaînes dont le politique Xerxès chargeait la mer pour emprisonner les tempêtes. Or les tempêtes étaient certaines qui soulèveraient la force instable, aveugle et vaste, Les naufrages du régime ont prouvé quelle faute avait été d’oublier le nombre quand on déterminait si minutieusement la part de la tradition, de l’intelligence et de l’argent. Mais, en 1814, personne, même parmi les génies précurseurs, ne prévoyait le péril, ne dénonçait l’instabilité de la base trop étroite, ne réclamait la part du peuple. Et tandis que notre sagesse contemporaine prend en pitié cet aveuglement, elle n’a plus d’yeux que pour le nombre. Adoratrice de la multitude, elle livre tout l’avenir à cette force élémentaire qui ne se dirige ni ne se connaît elle-même ; elle se prépare les sévères étonnemens de cet avenir pour n’avoir, en déchaînant les foules, rien réservé en faveur des élites qui représentent les intérêts permanens de la société et l’intelligence nécessaire pour la conduire. Durant tout le XIXe siècle, les révolutions, plagiaires les unes des autres, se sont restreintes aux vains changemens. 1814 a cherché dans le gouvernement d’une assemblée protection contre le génie d’un seul ; en 1851, la crainte de l’anarchie ramène un Bonaparte ;