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semble, trouve le prix exagéré et, sans le savoir peut-être, elle se rencontre avec Harpagon et écrit à Louville qu’il est plus économique et aussi plus gracieux que le prince fasse la campagne en « tête naissante, » en attendant que ses boucles aient repoussé.

Nous croyons que le brave abbé Thiers prenait ses désirs pour la réalité lorsqu’il nous dit, en propres termes, que Louis XIV était personnellement opposé aux perruques. Notre auteur ne pouvait cependant ignorer, lui si instruit sur la matière, que le roi arborait sa belle perruque de Viène précisément pour aller à la messe, ce qui donnait même, suivant Pellisson, des distractions aux courtisans avides de nouveautés. Quoi qu’il en soit, cette circonstance nous rapproche du cœur même du sujet épuisé par Thiers. L’usage des perruques pour ecclésiastiques surtout à l’église, au chœur, et encore plus à l’autel, est-il licite ? Tachons de nous débrouiller dans ce labyrinthe de controverses, compliquées d’anecdotes, de défenses strictes, de permissions plus ou moins larges, souvent contradictoires[1].

C’est vers l’année 1660 que les ecclésiastiques mondains se coiffent pour la première fois de cheveux étrangers ; l’abbé de la Rivière, évoque de Langres, donne le premier l’exemple, et bientôt le cardinal de Vendôme, légat a latere du Pape Clément IX, autorise un chapelain de la Cour à célébrer le saint sacrifice en perruque « modeste. » Mais les rigoristes criblent le premier d’épigrammes amères et déclarent nettement au cardinal qu’il a outrepassé ses droits. Une décision du Pape lui-même n’apaise pas leur fureur : comme un sieur Dappeville, chargé des affaires ecclésiastiques près la cour de Home, s’était présenté chez Sa Sainteté en modeste perruque à calotte, les officiers pontificaux, enchantés peut-être de ridiculiser un Français, s’indignent qu’on sollicite une audience pontificale sans avoir le chef absolument découvert et refusent l’entrée à Dappeville. Sans perdre son sang-froid, ce dernier enlève la fameuse calotte, exhibe un crâne absolument pelé, et somme les gardes de l’introduire. Le Pape,

  1. Suivant Thiers toutes les condamnations lancées par les Pères de l’Église contre les cheveux postiches de femme s’appliquaient a fortiori aux ecclésiastiques.
    Quant aux théologiens de cette époque, ils n’approuvaient pas la mode des cheveux faux sur les têtes féminines, mais ne regardaient plus l’emploi de cet ornement supplémentaire comme entraînant une faute grave.