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toujours modelé par les soins des artistes les plus illustres, synthétisait l’image de la beauté idéale, ou, dans la comédie, de la laideur traditionnelle. Peu importait que l’acteur fût vieux, laid de visage ou difforme de corps ; sur la scène, il restait toujours jeune, beau, bien fait, grâce au masque et aux accessoires dissimulés sous sa longue robe. Rien n’empêchait le même comédien de remplir deux ou même trois rôles principaux ou secondaires en changeant chaque fois de costume, de masque et d’accessoires ; trois ou peut-être quatre déclamateurs de talent suffisaient pour représenter, sans comparses médiocres, une pièce à nombreux personnages. Au poète incombait le soin de combiner entrées et sorties ; de là quelques maladresses de métier ou « ficelles » trop apparentes que les hellénistes contemporains ont devinées dans certaines tragédies d’Eschyle et d’Euripide que gênait la règle dite « des trois acteurs. »

Sophocle, ajoutent-ils, est plus expert et ne commet pas de semblables fautes. Peut-être parce qu’il jouait au besoin la tragédie et prêtait son concours incognito sous le masque : ainsi nous savons, d’après Athénée, qu’il incarna le rôle de la princesse Nausicaa dans une de ses pièces. Nous n’ignorons pas non plus qu’Aristophane créa le rôle de Cléon dans les Chevaliers. Aujourd’hui on serait bien étonné de voir M. Sardou ou M. Edmond Rostand interpréter leurs propres œuvres.

Comme ce sujet des masques et des habits de théâtre chez les Grecs présente beaucoup d’intérêt, de nombreux érudits des temps modernes et contemporains l’ont abordé sous toutes ses faces : nous nommerons, rien que pour l’époque actuelle, MM. Dierks, Salomon Reinach, A. Müller, P. Girard… et bien d’autres encore.

Par malheur les antiquaires, moins heureux que le renard de la première fable d’Esope, n’ont jamais réussi, au cours de leurs fouilles en Grèce ou en Italie, à retrouver un masque de théâtre et ils se trouvent réduits à colliger d’innombrables passages extraits d’une foule d’écrivains anciens et à relire les indications très sommaires d’un auteur technique, Julius Pol-lux. Mais quelle difficulté peut décourager un savant de nos jours ?

Les masques n’étaient pas de bois, comme on l’a longtemps supposé, mais bien de chiffons comprimés dans un moule et imprégnés de stuc. Fort durs, ils auraient même gêné l’acteur