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l’on formait en Flandre et dont M. le Prince aurait le commandement. Par ricochet, le duc de Luxembourg redeviendra le chef de l’armée de Hollande, et fera face au stathouder. C’est le 4 juillet que parvint à Utrecht le courrier qui portait ces ordres. Condé, le 8, envoya Luxembourg au quartier général du Roi, sous couleur d’y prêter serment pour sa charge nouvelle de capitaine des gardes du corps, dans la réalité, afin d’obtenir pour tous deux des instructions détaillées et précises. « M. de Luxembourg, dit une lettre de Pellisson[1], arriva ici hier matin. Il prêta le serment et prit le bâton pour le reste du jour. Ce matin, il a vu sa compagnie, et est venu prendre congé du Roi pour partir. » Luxembourg, le lendemain, était de retour à Utrecht. Condé partit huit jours plus tard, aussi peu enchanté de sa nouvelle mission, toute d’attente et d’observation, que Luxembourg était mal satisfait de voir se perpétuer la sienne. Les lettres qu’il adresse au Prince, dans le début de leur séparation, portent la trace de sa méchante humeur[2]. Il y récrimine amèrement contre les façons de Louvois, qui ne cherche jamais, dit-il, « qu’à retirer des troupes, » qui, « par ses changemens perpétuels, » rend le service étrangement incommode. « Vous connaissez ce pays-ci, monseigneur, s’écrie-t-il ; il ne faut pas y être si abandonné que je suis ! M. de Louvois me mande que j’ai une grosse infanterie ; mais qu’il compte ce qu’il en faut pour les places et les postes que nous occupons, et il verra qu’il ne me reste quasi rien pour la campagne. Je ferai de mon mieux, et je serai très heureux s’il ne m’arrive rien de mal. »

Ces plaintes n’étaient pas sans fondement. Vainement, depuis nombre de mois, Luxembourg s’épuisait en efforts et en raisonnemens pour obtenir la permission de « raser les places inutiles, » et d’en tirer les garnisons pour se concentrer dans les autres. Vainement peignait-il à Louvois l’inquiétude des ennemis, s’ils lui voyaient en main une armée importante, en état d’entreprendre : « Ce sont gens, disait-il, qui se conduisent comme les poltrons ; les périls éloignés ne leur paraissent rien, mais ils ont grand’peur quand ils les savent proches ; et, s’ils me voient bien du monde en campagne, ils seront embarrassés et ne sauront que faire. » Louvois, à toutes les bonnes raisons, n’objectait que l’humiliation de donner à l’Europe « une marque de faiblesse »

  1. 9 juillet 1673.
  2. Lettres à Condé des 18, 20 juillet, 5 septembre 1673. — Archives de Chantilly.