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L’investissement était déjà complet et la tranchée ouverte. J’ai mentionné plus haut l’importance de Naerden. Située au bord du Zuyderzée, à proximité d’Amsterdam, cette ville était considérée comme « la clé de la défense d’Utrecht et la base de tous les mouvemens offensifs. » Du jour où Louis XIV, en juillet 1672, y avait mis une garnison française, le rêve du stathouder avait été d’y replanter l’étendard des Provinces-Unies ; plusieurs essais sans résultat n’avaient pu lasser son dessein. Luxembourg, d’autre part, n’avait rien négligé pour garder cette précieuse conquête. Les derniers jours d’août, ayant « quelque soupçon que M. le prince d’Orange en pourrait vouloir à Naerden, » il avait ordonné de « garnir les bastions, » fait passer dans la ville du canon et des munitions, et renforcé le corps d’occupation, qui se montait à près de trois mille hommes[1]. Pourtant le gouverneur, « la veille du jour où il fut investi, » avait fait demander un supplément de deux cents hommes, alléguant ce que la garnison était suffisante pour le nombre, mais que, pour la qualité des soldats, il serait bien aise d’en avoir deux cents choisis[2]. » Un détachement de mousquetaires lui fut envoyé sur-le-champ, sous la conduite d’un lieutenant-colonel ; mais ils trouvèrent toutes les avenues barrées, et durent revenir à Utrecht.

Malgré ce léger contretemps, l’entreprise de Guillaume n’inspirait pas, au camp français, de trop vives inquiétudes. Si les remparts n’étaient qu’en terre battue, du moins l’enceinte était en bon état, les fossés larges et profonds, la garnison nombreuse, abondamment pourvue[3] ; et l’on comptait beaucoup sur le gouverneur de la place, choisi par Louis XIV, au début de la guerre, d’après le conseil de Turenne. M. de Procé, sieur du Pas, était un gentilhomme breton. Entré au service à quinze ans, d’une bravoure éprouvée, le corps tout troué de blessures, il s’était attiré la glorieuse estime de Turenne. De ce vieil officier, blanchi sous le harnois et suppléant par l’expérience à ce qui lui manquait de « génie, » toute l’armée attendait une ferme résistance ; et personne ne doutait qu’il ne se conduisît « en brave homme. » Il semblait donc certain que l’on eût du temps devant soi ; et Louvois, lorsque Luxembourg lui transmit la nouvelle, y répondit d’un ton détaché et goguenard : « Il n’est pas pos-

  1. stoppa à Louvois, 1er septembre. — Archives de la Guerre, t. 326.
  2. Lettre de Stoppa du 12 septembre. — Archives de la Guerre, t. 326.
  3. Lettres de Pellisson, 13 septembre 1673.