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n’est pas moins indigné : « Telle chose que puisse dire le sieur du Pas, je trouve qu’il a fait la plus vilaine action du monde… Pour moi, je ne le saurais assez blâmer, et je ne sais même pas si, pour l’exemple, il ne serait pas à propos d’en faire quelque châtiment, car cela est de très grande conséquence pour les autres places[1]. »

Pendant que s’élevait ce tolle, celui qui en était l’objet semblait comme inconscient du menaçant orage suspendu sur sa tête. « Je le vis ici un quart d’heure, comme il s’en allait à Arnheim, mande Luxembourg à Louvois. Il me parla le plus sottement du monde de la défense qu’il avait faite, » passant « du blanc au noir, » affirmant coup sur coup « mille choses opposées les unes aux autres, » tout prêt à se vanter « d’avoir sauvé au Roi deux mille hommes de ses troupes ; » bref, « il me parut, aussi bien qu’à plusieurs qui étaient avec moi, comme un homme qui a perdu la tramontane[2]. » Il essaya pourtant de se disculper près du Roi par une pièce d’éloquence obscure autant que maladroite, où il accusait tous ses chefs — Louvois, Condé et surtout Luxembourg — d’avoir prémédité sa perte, et demandait la permission de se retirer de l’armée, « ne se croyant plus en état de rendre service à Sa Majesté. » Le Roi, rapporte Pellisson, « a dit que cela était d’un homme qui commençait à se rendre justice lui-même ; néanmoins, il en a toujours parlé avec beaucoup d’équité ; et, s’il est obligé d’en faire un exemple, ce ne sera qu’à regret. »

L’arrestation, à la suite de l’enquête, fut opérée le 29 septembre, sur l’ordre de Luxembourg : « J’ai dépêché ce matin un exprès à M. Calvo pour qu’il m’envoyât ici le sieur du Pas, sous bonne et sûre garde[3]. » On mit du même coup « en lieu sûr » M. de Fontenay, le seul défenseur de Naerden qui eût signé la capitulation. L’information, les interrogatoires, se poursuivirent dans la forme habituelle, avec plus de lenteur que ne l’eût désiré Louvois : « J’attends avec impatience des nouvelles du jugement du sieur du Pas ; il est de la dernière importance de faire un prompt exemple de cette infamie. » Quinze jours plus tard : « Le Roi s’attend au premier jour d’apprendre que le sieur du Pas a été jugé, étant une honte que cela ait tant

  1. Lettre de Condé à Luxembourg, 22 septembre. — Archives de Chantilly.
  2. 18 et 22 septembre 1673. — Archives de la Guerre, t. 327.
  3. Luxembourg à Louvois, 29 septembre. — Archives de la Guerre, t. 357.